Lorsqu'elle apprend à 29 ans qu'elle a été conçue par insémination artificielle avec donneur, Audrey Kermalvezen se trouve brutalement confrontée au secret qui entoure une partie de ses origines.
"Je ne considère pas mon géniteur comme un père mais comme un acteur originel de ma vie. J'aimerais savoir à quoi il ressemble, pourquoi il a fait le don et quels sont ses antécédents médicaux", explique la jeune avocate qui publie "Mes origines : une affaire d'Etat" aux éditions Max Milo.
Mais elle se heurte à l'anonymat du don de sperme, inscrit dans la législation française, et à l'incompréhension de ses interlocuteurs.
"Lorsque j'ai voulu savoir si mon frère avait été conçu avec le même donneur, on m'a dit que cela ne me regardait pas", se souvient la jeune femme brune, aujourd'hui âgée de 34 ans, qui préside l'association PMA (Procréation médicalement anonyme).
L'association milite pour que les enfants conçus par don de sperme puissent avoir accès à des informations sur leur père biologique à leur majorité, voire rencontrer ce dernier s'il donne son accord.
Mais leurs revendications sont accueillies avec scepticisme dans un pays qui prône l'anonymat au nom de l'intérêt des donneurs et des receveurs.
"Les seuls à n'être pas écoutés et encore moins entendus dans la problématique du don de gamètes et d'embryons en France sont bel et bien et paradoxalement les personnes qui en sont issues", souligne le Pr Israël Nisand, le fondateur du Forum européen de bioéthique, dans la préface du livre.
Bien qu'aucun chiffre officiel ne soit disponible, on estime généralement qu'entre 50.000 et 70.000 enfants sont nés grâce à un don de sperme en France depuis la mise en place des premières banques de sperme (ou Cecos) en 1973.
Les plus âgés d'entre eux, qui ont aujourd'hui entre 30 et 40 ans, sont souvent déjà eux-mêmes parents mais ils ignorent pour la plupart leur mode de conception, relève Mme Kermalvezen qui déplore que tout soit fait pour permettre aux couples de présenter la procréation avec donneur "comme une procréation charnelle classique, tant à l'égard des tiers qu'à l'égard de leur propre enfant".
- 'Serial donneurs' -
Le choix du sperme (ou "appariement"), note-t-elle, s'effectue en tenant compte des caractéristiques physiques (couleur de la peau, des yeux ou des cheveux) et des groupes sanguins du couple receveur, "ce qui incite les parents à garder le silence".
En enquêtant pendant quatre ans sur l'histoire du don du sperme, la jeune femme a également découvert l'existence de "serial donneurs" se vantant d'avoir donné leur sperme à d’innombrables reprises et d'avoir enfanté plusieurs centaines d'enfants.
En France, il faudra attendre la loi de bioéthique de 1994 pour que ce type de procréation soit encadrée, avec un nombre maximum d'enfants nés d'un même donneur fixé à cinq, puis à dix en 2004.
"Mais aujourd'hui encore, un donneur peut aller dans plusieurs banques de sperme et engendrer plus de 10 enfants car il n'existe aucun fichier central", souligne l'avocate qui s'est spécialisée en droit de la bioéthique avant même de savoir comment elle avait été conçue. Son conjoint est lui aussi issu d'un don de sperme.
"Nous pourrions être consanguins sans le savoir", relève-t-elle. Et que dire à leurs futurs enfants ou à un médecin les interrogeant sur leurs antécédents familiaux alors qu'ils ne savent rien de leurs pères biologiques ?
Ses inquiétudes sont rejetées par l'Agence de la biomédecine qui souligne que les professionnels des Cecos "sont à même de repérer et éviter un éventuel doublonnage parmi les donneurs". L'anonymat peut, en outre, être levé partiellement "en cas de nécessité thérapeutique", comme une "maladie génétique potentiellement héréditaire", précise-t-elle.
Selon l'Agence, 1.099 enfants sont nés grâce à un don de sperme en 2011, tandis que le nombre des donneurs acceptés fluctue entre 200 et 400 en moyenne par an depuis 2006 (233 en 2011 contre 306 en 2010).