Dans la forêt de Verdun, un obus trône comme un oeuf sur un tapis de mousse: regorgeant de ce genre de vestiges de la Première Guerre mondiale, l'ancien champ de bataille attire les pilleurs, au grand dam des autorités et des archéologues.
Non loin de cet obus, une ancienne tranchée serpente entre hêtres, charmes et résineux quand apparaissent soudain plusieurs trous béants, creusés avec soin comme des tombes: la marque de pilleurs.
"Dès que leur détecteur de métaux a bipé, ils ont dû creuser. Ils ont peut-être trouvé un fusil allemand ici, parce que là on aperçoit des cartouches d'un Mauser", avance Joël Day, agent de l'Office national des forêts (ONF) à Verdun, en désignant l'un des trous.
Certains prospecteurs se spécialisent dans la recherche d'armes et de casques, notamment le casque à pointe allemand, "dont l'ornement en laiton est très prisé", assure M. Day.
D'autres préfèrent sonder l'arrière-front, comme les anciens baraquements allemands, qui disposaient de poubelles où l'on peut encore trouver de nos jours "des verres estampillés de la Croix de Fer, des morceaux de casques, de ceinturons, des pipes en porcelaine abîmées", ajoute Jean-Pierre Laparra, le maire de Fleury-devant-Douaumont, village détruit depuis la bataille de Verdun en 1916.
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Ces morceaux d'histoire "se vendent très facilement" car pour beaucoup ils dégagent une impression d'authenticité. "Mais cela détruit toute une connaissance scientifique que l'on pourrait avoir sur un secteur", déplore M. Laparra.
Les archéologues sont les premiers à s'indigner. "Ce qui nous hérisse, c'est que les fouilleurs n'ont pas de connaissances méthodologiques ni stratigraphiques, et donc ils sont amenés à faire des trous n'importe comment, à malmener le sol sans considérer la position des objets", et à en détruire d'autres au passage qui sont négligeables à leurs yeux, comme des ossements de soldats, explique Gilles Prilaux, archéologue spécialiste de la Grande Guerre.
- Les fouilles, un "sport national" à Verdun -
Bruno Frémont, médecin légiste et urgentiste à Verdun, souligne quant à lui les dangers auxquels s'exposent les fouilleurs amateurs, surtout en manipulant des obus non explosés, dont certains sont chimiques. "Dans le nord meusien, il ne se passe pas une année sans qu'il y ait au minimum des blessés. A l'hôpital civil de Verdun, on est confronté à des blessures de guerre causées par des éclats d'obus ou des armes chimiques comme l'ypérite" (le gaz moutarde), explique-t-il.
Le risque est de taille: de 10 à 15 tonnes de bombes sont extraites chaque année par les services de déminage dans la région de Verdun, selon l'ONF.
La détention illégale de matériel de guerre, même ancien, est punie de trois ans de prison. Quant aux autres objets retrouvés sur les champs de bataille, ils reviennent de droit "soit aux familles des soldats auxquels ils appartenaient, soit à l'Etat" et ne pas les déclarer est punissable d'une amende de 3.750 euros, avertit une brochure officielle qui doit être prochainement distribuée aux visiteurs de la forêt de Verdun.
Mais tous ces arguments ne dissuadent guère les chasseurs de trésors. Malgré la vigilance de l'ONF et des patrouilles de gendarmerie, "ce n'est pas évident de les prendre en flagrant délit" dans une forêt de 10.000 hectares, souligne le capitaine de gendarmerie Thierry Schmitt, de la compagnie de Verdun.
De surcroît, le temps et les moyens manquent pour passer au peigne fin les nombreuses bourses aux armes et autres brocantes de la région ou le commerce autour de 14-18 qui fleurit sur internet, ajoute la gendarmerie.
Il y a peut-être aussi un manque de volonté pour le faire, suggère un amateur de souvenirs de la Grande Guerre, qui tient à rester anonyme, et assure avoir bâti sa collection de 2.000 objets légalement.
Car à Verdun les fouilles clandestines sur le champ de bataille sont un "sport national pratiqué dès l'enfance". Aussi "on ne va pas embêter un ami ou un proche, parce qu'ici tout le monde a des dossiers sur tout le monde" sourit-il. "Alors on préfère taper sur les Allemands ou les Hollandais", nombreux également à venir passer le secteur à la loupe, selon lui.