Milieu d'après-midi, hall du "29 Ravel" à Sarcelles (Val-d'Oise), trois adolescents squattent. L'un d'eux fume un joint. Contrôle policier tendu. La routine pour le brigadier Debaer, qui porte sans conviction un numéro d'identification, un dispositif censé permettre de retisser du lien avec la population.
A aucun moment, les trois jeunes n'ont un regard pour ce matricule, sept petits chiffres inscrits sur un scratch plaqué sur la poitrine des trois policiers en patrouille. "C'est chaud de retenir ces chiffres et puis on n'a pas le temps de le voir avant d'être plaqué au mur", souffle l'un d'eux, qui se flatte d'être un "habitué" des contrôles.
Le fumeur de cannabis est conduit au poste par des policiers en civil, qui portent à la ceinture un brassard équipé de leur numéro Référentiel des identités et de l'organisation (RIO).
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Chaque jour, de 14H00 à 22H00, les trois policiers avalent une dizaine de kilomètres à pied pour "montrer leur présence, tenir le terrain, visiter les parties communes, y déloger les perturbateurs" qui consomment ou dealent de la drogue. La majorité des incidents avec la police interviennent lors de ces patrouilles, notamment en cas d'évacuation de halls de barres d'immeubles.
Depuis le 2 janvier, policiers et gendarmes doivent porter sur leur uniforme un "numéro d'identification individuel", permettant de retrouver un fonctionnaire en cas de dérapage. Mais cette mesure passe mal auprès des policiers, leurs syndicats la jugeant "stigmatisante". C'était, avant la présidentielle, une promesse de François Hollande notamment pour lutter contre les contrôles "au faciès".
"Ici, les keufs, on connaît tous leurs blazes"
"On nous a demandé de mettre un matricule, on le met mais ça ne change pas notre façon de travailler", affirme Jérémy Debaer, neuf ans de patrouille dans le district de Sarcelles, classé en zone prioritaire de sécurité (ZSP) en raison de trafics de stupéfiants et du nombre de vols avec violence.
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"Avec ce numéro, on est une nouvelle fois stigmatisé. On nous fait passer pour des méchants mais faut voir à qui on a affaire en face", poursuit le brigadier qui n'était "pas pour". Lors du contrôle, "on a été poli mais c'est pas pour autant qu'ils nous ont dit bonjour, et l'individu qui fumait un joint qu'on a ramené au poste a craché deux fois devant nous. Ils n'ont aucun respect."
A Sarcelles, le retour du matricule, abandonné en 1984, est passé complètement inaperçu. Aucun riverain croisé par l'AFP n'est au courant de l'application du dispositif. Beaucoup affichent leur scepticisme sur le but visé et trouvent le numéro difficile à distinguer.
"Ici, les keufs (policiers, ndlr), on connaît tous leurs blazes (noms, ndlr) et leurs prénoms. Ca sert à rien ce numéro. Même s'ils nous font un truc, ils gagneront toujours contre nous", lâche Kevin. Cet adolescent de 17 ans dit être contrôlé tous les deux jours en raison de sa "dégaine, jogging, sacoche et baskets requins".
Pour Patrick Joachim, 57 ans, qui a grandi à Sarcelles, "le vrai problème, c'est qu'on ne respecte plus la police". Ce numéro, "c'est pas mal, c'est une bonne contrepartie, ça peut permettre de régler certains différends", concède-t-il.
La "vraie plus-value" réside pour le chef de district de Sarcelles Éric Heip dans "l'identification immédiate du fonctionnaire mis en cause". "Avant, nous n'avions pas toujours la possibilité de le trouver puisqu'il n'était pas obligé de décliner son identité", explique ce commissaire.