L'ancien procureur de Nanterre, Philippe Courroye, va savoir mardi si le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) recommande une sanction à son encontre dans le cadre de l'affaire dites des "fadettes", une décision déterminante pour la fin de carrière du magistrat.
M. Courroye, 54 ans, et son ex-adjointe, Marie-Christine Daubigney, sont soupçonnés d'avoir tenté, en septembre 2010, de découvrir illégalement les sources de deux journalistes du Monde qui travaillaient sur l'affaire Bettencourt.
Pour ce faire, ils avaient réquisitionné leurs factures téléphoniques détaillées, les "fadettes".
Le quotidien et ses deux journalistes avaient alors porté plainte et saisi, parallèlement, le CSM, voie de recours introduite par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. C'est la première fois qu'une plainte de justiciable aboutit à une audience disciplinaire.
Dans une procédure concernant un magistrat du parquet, la formation disciplinaire ne fait que formuler un avis et c'est le garde des Sceaux qui décide de la sanction éventuelle, à la lumière de l'opinion du CSM.
De sources concordantes, le CSM devrait transmettre son avis à la Chancellerie en début d'après-midi.
En requérant les factures détaillées, M. Courroye cherchait alors à déterminer comment ces journalistes avaient pu apprendre, le jour même, qu'une perquisition avait été effectuée chez l'héritière du groupe L'Oréal, Liliane Bettencourt, par la juge Isabelle Prévost-Desprez.
L'examen des factures détaillées devait révéler que la source des deux journalistes était Mme Prévost-Desprez elle-même.
Or, depuis 2009, une rivalité brutale opposait M. Courroye à la juge, qui reprochait, parfois publiquement, au magistrat de protéger les intérêts de la sphère UMP et de Nicolas Sarkozy, dont la presse le disait proche.
A l'audience disciplinaire du CSM, l'avocat de Philippe Courroye, Francis Teitgen, a d'ailleurs dénoncé une manoeuvre politique pour faire tomber le magistrat et atteindre, à travers lui, l'ancien président de la République.
Etats de service exemplaires
Isabelle Prévost-Desprez a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour violation du secret professionnel. Elle a fait appel de ce renvoi devant la chambre de l'instruction, qui examinera ce recours le 31 janvier.
Situation paradoxale, l'enquête qui a entrainé le renvoi en correctionnelle de Mme Prévost-Desprez vaut à son instigateur une procédure disciplinaire.
Outre la procédure disciplinaire, M. Courroye et Mme Daubigney ont été mis en examen pour les mêmes faits en janvier 2012 par la juge d'instruction Sylvia Zimmermann.
Mais ces mises en examen ont été annulées, en mars 2012, du fait d'une irrégularité sur la forme. La Cour de cassation a confirmé cette annulation, fin juin.
Durant les deux jours d'audience disciplinaire devant le CSM, mi-novembre, Philippe Courroye s'est défendu pied à pied. Soutenu par ses deux avocats, qui ont rappelé à plusieurs reprises ses états de service exemplaires, il a argumenté plus particulièrement sur deux points.
Il a d'abord pointé le flou, selon lui, des textes régissant le secret des sources. Puis, il a justifié le recours direct aux "fadettes" des deux journalistes, sans explorer d'autres pistes, par la recherche de l'efficacité.
Le directeur des services judiciaires, Jean-François Beynel, qui représentait la garde des Sceaux à l'audience, a considéré qu'une sanction serait justifiée à l'encontre de M. Courroye.
Pour lui, si M. Courroye avait encore occupé les fonctions de procureur de la République de Nanterre, il aurait dû être prononcé un retrait de ses fonctions.
Le magistrat ayant été muté en août 2012 à la cour d'appel de Paris en qualité d'avocat général, M. Beynel a jugé opportune une "sanction équivalente", sans plus de précision.
Avant cette affaire et l'éclatement au grand jour de sa mésentente avec Isabelle Prévost-Desprez, Philippe Courroye était pressenti pour devenir procureur de la République de Paris.
Pour Me Francis Teitgen, conseil de M. Courroye, la vie professionnelle du magistrat serait "foutue" si une sanction disciplinaire était prononcée par la garde des Sceaux, Christiane Taubira, après avis du CSM.