Sanctionner les clients des prostituées, principale mesure de la proposition de loi examinée vendredi, promet un débat animé au sein des députés, partagés comme l'opinion publique sur ce sujet sensible.
Le texte des députés PS Maud Olivier et Catherine Coutelle veut dissuader le client en punissant l'achat d'actes sexuels d'une amende de 1.500 euros, doublée en cas de récidive. Il prévoit aussi un "stage de sensibilisation" comme alternative à l'amende ou peine complémentaire.
Le texte qui n'interdit pas la prostitution, légale en France, propose aussi d'abroger le délit de racolage qui pénalisait les prostituées, une mesure réclamée par ces dernières.
Il prévoit enfin des mesures d'accompagnement social pour celles qui veulent quitter la prostitution. Les étrangères (80 à 90% des prostituées selon l'Intérieur) engagées dans un "parcours de sortie" pourront obtenir un titre de séjour de six mois, renouvelable.
On estime à plus de 20.000 le nombre des prostituées en France.
Selon un sondage CSA pour BFMTV, 68% des Français sont opposés à la condamnation judiciaire des clients.
Soutenu par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, la proposition de loi s'inspire de l'exemple de la Suède où les clients sont pénalisés depuis 1999, ce qui a conduit à une réduction de moitié de la prostitution de rue en dix ans.
Le texte devrait être adopté mercredi, mais il suscite des interrogations parmi les parlementaires.
Au sein du PS même, plusieurs députés ont refusé que le client soit sanctionné par une peine de prison en cas de récidive, mesure initialement proposée par Maud Olivier, rapporteur du texte. "Il y a une petite révolution à faire dans les esprits", a-t-elle conclu.
Quelques députés PS se sont faits l'écho des inquiétudes de certaines prostituées et associations leur venant en aide, comme Médecins du Monde, soulignant que la surveillance contre les clients allait pousser les prostituées à la clandestinité avec un risque accru d'être exposées à des violences.
A l'UMP, une majorité de députés devrait s'abstenir, réservée sur "la pénalisation du client et la possibilité de régularisation des personnes qui sortent de la prostitution", selon leur chef de file, Christian Jacob. Radicaux de gauche et UDI laisseront la "liberté de vote" aux parlementaires.
Chute de revenus
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Le Front de gauche, saluant les mesures d'accompagnement social, soutiendra le texte. Mais les parlementaires EELV voteront majoritairement contre, jugeant qu'il "ne résout rien" et ne fait pas suffisamment la distinction entre prostituées victimes de réseaux et "indépendantes".
Ces dernières (15% des prostituées) craignent une chute de leurs revenus. Priscilia, blonde platine d'une quarantaine d'années, exerce rue Saint-Denis à Paris: elle dit avoir "perdu 80% de son chiffre d'affaire" parce que les clients n'osent déjà plus venir.
Pour le Syndicat du travail sexuel, qui appelle à manifester vendredi, la loi "aura les mêmes conséquences désastreuses" que le délit de racolage qui a poussé les prostituées à se cacher pour éviter les interpellations.
La proposition de loi avait déjà cristallisé les passions avec la pétition "Touche pas à ma pute" lancée par "343 salauds", dont le journaliste Eric Zemmour ou l'écrivain Frédéric Beigbeder. D'autres célébrités, Catherine Deneuve ou Charles Aznavour, ont signé une pétition du chanteur Antoine contre le texte.
La philosophe Elisabeth Badinter a estimé que "l'Etat n'avait pas à légiférer sur l'activité sexuelle des individus", défendant le libre choix de certaines prostituées.
"Ca n'existe pas des femmes qui le font volontairement", répond Laurence Noëlle, ex-prostituée selon laquelle "la prostitution est toujours une violence".
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A ses côtés, des associations féministes et d'aide aux prostituées défendent le texte et appellent à un rassemblement vendredi, rappelant qu'une majorité des prostituées subissent une contrainte économique ou physique.
Le Mouvement du Nid réclame même une "pénalisation" des clients, car les punir d'une simple contravention, "c'est punir l'achat d'actes sexuels moins lourdement que le fait de partir sans payer de la terrasse d'un bar", note son secrétaire général, Grégoire Théry.
Mais sanctionner les clients risque de s'avérer difficile. Kamel, avocat de 50 ans et client de prostituées, n'est "pas inquiet", la loi ne le freinera pas car beaucoup de filles savent "échapper à la vigilance de la police".