Les années sont comptées pour un site exceptionnel d'empreintes de dinosaures, découvert en 2004 à Loulle (Jura), dont l'avenir est pris en tenaille entre partisans de son enfouissement et tenants de la création d'un musée.
"Cela fait trois ans que les fouilles sont terminées et qu'on tourne en rond", déplore le professeur Pierre Hantzpergue, qui a co-dirigé les recherches avec Jean-Michel Mazin.
A l'origine, c'est un géologue amateur, Jean-François Richard, qui découvre des traces de dinosaures dans une carrière désaffectée de ce village de 172 âmes près de Champagnole.
Trois campagnes de fouilles menées entre 2007 et 2009 permettent de répertorier sur le site 1.500 empreintes de sauropodes (quadrupèdes herbivores, comme les diplodocus) et de théropodes (un groupe de bipèdes comprenant la quasi-totalité des dinosaures prédateurs) datant du Jurassique.
Depuis, l'ancienne carrière est ouverte à tous vents. Ne restent que les traces de peinture identifiant les différentes pistes suivies. Faute de solution, les empreintes sont vouées à disparaître d'ici une décennie.
"Je suis étonné que tout le monde puisse piétiner", confie Gérard Chevalier, un touriste champenois de 62 ans venu en famille voir la curiosité. "Ici, on pourrait imaginer un sentier pédagogique mais il y a deux écoles: gratuité ou faire payer l'entrée", ajoute-t-il.
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Le maire de Loulle, Yves Rolet, défend la première option: "cela restera un site gratuit tant qu'on aura la main mise" sur le site, dont la commune est propriétaire.
Ce n'est qu'un aspect du bras de fer qui oppose depuis plusieurs années la commune, le département et les scientifiques, sur l'avenir du site.
Compromis
Pour protéger les empreintes, une étude commandée en 2009 par le conseil général a préconisé la construction d'un bâtiment chauffé, pour deux millions d'euros.
"Utopique", coupe court M. Rolet: "les retombées, c'est néant, sauf peut-être pour la fromagerie" qui a mis un panneau publicitaire près de l'ancienne carrière.
La municipalité et le département s'orientent actuellement vers un "compromis", qui coûterait environ 150.000 euros.
"J'ai donné mon accord pour qu'on recouvre une partie avec un géotextile et 70 centimètres d'écorces; et de l'autre côté, on pourrait refaire les traces propres avec des passerelles pour se promener au-dessus des pistes avec des panneaux explicatifs", explique le maire.
La première vice-présidente PS du conseil général Danielle Brulebois voit là un "bon compromis" pour un site visité par environ 20.000 personnes par an.
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"Ce n'est pas la solution idéale mais c'est le même problème pour tous ces sites. A La Plagne, dans l'Ain, ils avaient de grands projets et finalement, ils ont opté pour la solution de tout recouvrir", dit-elle.
Le découvreur du site, lui, se désole. "On ne peut pas enterrer la partie du site avec les empreintes de théropodes, c'était un animal aussi long que le tyrannosaure rex. C'est une piste unique en Europe!", lance ce quadragénaire aux lunettes rondes et à la barbichette poivre et sel.
"Deux millions d'euros, ce n'est pas le bout du monde (...) La fondation Total est prête à investir, il suffit de monter des dossiers de financement", assure M. Richard.
"Tout recouvrir coûte cher et la carrière risque de redevenir un dépôt d'ordures. Recouvrir la moitié, c'est se donner bonne conscience car quand la partie découverte sera altérée, on découvrira l'autre et alors tout sera perdu", prévient de son côté M. Hantzpergue, ancien professeur en géologie-paléontologie à l'université Lyon-I.
"Beaucoup d'enfants sont déçus de ne pas voir de dinosaures. On pourrait construire une maquette grandeur nature. D'autres ont pu le faire, pourquoi ne pas le faire dans le Jura ? Ils en font des enjeux politiques, c'est le fond du problème", accuse l'universitaire.