Il a de faux airs d'éternel étudiant. Et certainement pas l'image d'un militant exalté. Hervé Lebreton, professeur de mathématiques de 42 ans, assure n'être qu'un "citoyen normal" même s'il a fait plier l'Etat en obtenant qu'il lève le voile sur la réserve parlementaire, une cagnotte de 150 millions d'euros.
En 2011, lorsqu'un correspondant de l'AFP l'a croisé pour la première fois, il semblait être au nombre de ces contribuables en colère qui s'acharnent contre l'administration sans obtenir grand chose.
"Chacun a le droit de savoir comment est utilisé l'argent du contribuable", martelait-il après le dépôt d'un recours auprès du tribunal administratif de Toulouse. Objectif: contraindre le ministère de l'Intérieur à divulguer les données de cette cagnotte de près de 150 millions d'euros, attribuée par l'Etat aux députés et sénateurs pour financer chaque année des projets locaux.
"Je veux pouvoir connaître la somme, la collectivité concernée, le projet et le nom du parlementaire qui l'a soutenu", disait-il, dénonçant des critères d'attribution opaques.
Après deux années de procédures, il reçoit le 25 juin la liste des réserves parlementaires pour 2011, mille pages acquises de haute lutte dont la communication avait été ordonnée par le tribunal administratif le 23 avril.
"J'ai passé une nuit blanche à tout décortiquer", confie cet enseignant de collège, qui réside à Lacépède, un petit village du Lot-et-Garonne.
Né à Blois, ce professeur a grandi en Touraine et se dit fier de son sang corse et breton: installé depuis 1999 dans une vieille grange qu'il a restaurée, il a décidé en 2008 de fonder une association, "Pour une démocratie directe".
"J'avais besoin de passer à l'acte, de donner une nouvelle direction à ma vie, j'avais peur de devenir indifférent (...) J'ai beaucoup pensé à mes enfants, à ce que je voulais leur laisser en héritage", explique-t-il.
Coluche
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Son modèle n'est autre que son père, un universitaire et chercheur en spectroscopie moléculaire qui a toujours refusé toute distinction. Ce qui compte, "c'est ce que les gens font, pas leur apparence", disait-il à son fils. "Sa famille a des valeurs et les exprime. Elle est soudée et c'est important pour lui", témoigne l' épouse d'Hervé Lebreton, Priscilla.
Politiquement, il dit n'être ni de droite, ni de gauche, avoir un faible pour Coluche et un texte pour référence : la Déclaration universelle des droits de l'Homme.
Ce "passage à l'acte", pense-t-il, sera un exemple pour ses filles de 6 et 10 ans. "Une démarche altruiste et désintéressée alors que l'on pourrait rester dans notre petit confort", ajoute son épouse.
Avec son association, il commence par interpeller les parlementaires sur leurs pensions "qui devraient être alignées sur le régime général" mais en réalité sont "fixées par le bureau de l'Assemblée nationale, à huis-clos".
Il interpelle les 577 députés, leur écrit pour leur demander s'ils sont pour l'alignement de leur pension sur le régime général. Puis, il concentre son combat sur les réserves parlementaires, car il sait pouvoir plus rapidement obtenir un résultat concret sur ce terrain.
Brièvement tenté par la politique, ce bricoleur méticuleux s'y frotte lors des législatives de 2012, dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne (1,21% des suffrages) puis en 2013 (1,69%) dans la circonscription de Jérôme Cahuzac, un "test" qui ne le tente plus.
Guy Fregefont, son suppléant, enseignant dans son collège, le décrit comme un homme "tenace" et "d'une efficacité remarquable". "Une personne hors du commun".
Difficile de lui trouver des détracteurs. Ainsi, le député UMP Jean-Louis Costes assure être "totalement d'accord" avec sa démarche. La seule qui semble se plaindre de lui est sa grand fille, Théa: elle aimerait que "papa soit plus souvent à la maison".
Mais Hervé Lebreton a déjà un nouveau combat en tête : le détail des subventions accordées aux associations sur le budget des réserves parlementaires. "Il y a encore de nombreuses zones obscures", insiste-t-il.
"Les citoyens doivent faire entendre leur voix, ne pas hésiter à interpeller leur député (...) Le droit de savoir fait partie de la Constitution", dit-il. Et de rêver d'un "pouvoir citoyen", en plus des pouvoirs judiciaire ou médiatique. Même si celui-là "reste à inventer".