Dans le "Neuf-Trois", il est le seul restaurant à bénéficier d'une étoile au guide Michelin: l'Auberge des Saints Pères, à Aulnay-sous-Bois, propose depuis quinze ans une cuisine créative et raffinée qui bat en brèche les clichés associés au département.
Un bâtiment d'allure modeste, niché dans une rue bordée de pavillons: c'est dans cette ville populaire de 82.000 habitants, au coeur de la Seine-Saint-Denis, que Jean-Claude Cahagnet, maître cuisinier de France, a posé en 1998 ses casseroles et ses couteaux.
"Je cherchais une affaire à taille humaine, en région parisienne. Le secteur de Rambouillet, où je travaillais alors, était saturé de bonnes tables. J'ai repéré cet endroit, qui m'a semblé propice", raconte ce chef de 47 ans, lunettes fines et cheveux coupés ras.
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Un choix du coeur autant que de raison. "Quand j'ai dit que je voulais m'installer ici, tout le monde m'a dit +Tu es fou!+. Ca ma conforté dans mon projet, par esprit de provocation", s'amuse ce Parisien d'origine, formé par Gérard Vié.
Le pari, quinze ans après, est réussi. Des clients fidèles et variés, une équipe soudée... L'Auberge des Saints Pères, titulaire depuis 2004 d'une étoile au guide Michelin, a réussi à se faire une place parmi les meilleures tables d'Ile-de-France.
L'origine de ce succès? Une créativité à toute épreuve et un sens aigu de la composition, salué par le Michelin, qui vante ses "assiettes sophistiquées, originales et techniques", "où dialoguent de nombreux ingrédients".
La carte, régulièrement renouvelée, témoigne de cette richesse culinaire, à l'image de ces "cornets de Tourteau à croquer avec un gaspacho de radis rose à boire" ou de ce "parmentier de lapereau relevé de foie gras et saupoudré de cacao", présenté sous la forme d'un cappuccino.
"Mon but, c'est de provoquer du plaisir, pas d'intellectualiser la cuisine", explique Jean-Claude Cahagnet, tombé dans la marmite de la gastronomie à 16 ans, au terme d'un parcours scolaire "compliqué". "J'essaie de faire une cuisine à mon image, de cuisiner avec le coeur."
"Aller ailleurs? Pourquoi?"
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Dans la salle du restaurant, à la décoration contemporaine, les clients savourent. "C'est une cuisine originale, avec de bons produits... C'est toujours délicieux", assure Laurent Viard, en dégustant une entrecôte relevée de haddock et de ciboule.
Habitué du restaurant, qu'il fréquente depuis dix ans, ce médecin de Seine-Saint-Denis dit se réjouir de la notoriété des Saints Pères au-delà des frontières du département. "Quand on invite des gens de Paris, ils sont un peu réticents. Mais une fois qu'ils ont mangé, ça change complètement", dit-il.
Un atout pour le "Neuf-Trois", davantage associé en termes d'image à la restauration rapide et aux problèmes des banlieues qu'au raffinement de la "haute cuisine".
"On espère que l'exemple des Saints-Pères donnera des idées à des restaurateurs. Aujourd'hui, il y a encore trop peu de bonnes tables dans le département, alors qu'il y a un vrai potentiel, notamment au niveau de la clientèle d'entreprise", déclare Daniel Orantin, directeur du Comité départemental du tourisme 93.
"Il y a beaucoup de préjugés sur le département. Il y a bien-sûr ici des problèmes, mais comme partout. Depuis mon arrivée, je n'ai jamais eu de souci", souligne de son côté Jean-Claude Cahagnet, qui n'envisage pas de quitter la Seine-Saint-Denis.
Pleinement investi dans la vie locale, le cuisinier, qui multiplie les interventions dans les écoles et les associations, espère aussi susciter des vocations, notamment dans les quartiers difficiles.
"Tout le monde n'a pas les mêmes chances au départ. C'est important de montrer qu'avec de la passion et du travail, on peut faire de belles choses", conclut-il.