L'Etat avait-il le droit d'interdire en juillet 2011 la fracturation hydraulique pour fermer la porte aux gaz de schiste? Le Conseil constitutionnel devrait bientôt être saisi de cette question explosive qui oppose les défenseurs de l'environnement aux pétroliers.
Le rapporteur public du Conseil d'État a recommandé mercredi le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de la compagnie pétrolière américaine Schuepbach, dont deux permis de prospection avaient été annulés fin 2011 parce qu'elle souhaitait utiliser la fracturation hydraulique.
La décision du Conseil d'Etat, qui suit le plus souvent les avis du rapporteur, est attendue d'ici deux semaines en principe.
En juillet 2011, au terme de plusieurs mois de mobilisation notamment dans le sud de la France, le Parlement avait voté une loi interdisant la seule technique permettant actuellement d'exploiter les gaz de schiste, en raison des risques qu'elle présente pour l'environnement. Une interdiction confirmée ensuite par le président François Hollande.
Le rapporteur public du Conseil d'Etat, Suzanne von Coester, a retenu mercredi le caractère nouveau de la demande de la compagnie américaine.
C'est en effet la première fois que la question est posée à la justice: la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation n'était pas passée devant le Conseil Constitutionnel et la QPC de Schuepbach est la première sur le sujet à remonter jusqu'au Conseil d'Etat. L'entreprise texane conteste une application trop stricte, et donc inappropriée, du principe de précaution.
Le rapporteur a souligné que la question se posait: "on peut se demander s'il ne s'agit pas dans ce cas, lorsque les autorités publiques ont pris des mesures jugées trop restrictives, d'une fausse application plutôt que d'une méconnaissance du principe de précaution", a-t-elle dit lors de l'audience.
Elle a notamment cité les arguments évoquant une "absence d'évaluation des risques" de cette technique consistant à fissurer la roche riche en hydrocarbures en injectant un mélange d'eau, de sables et de produits chimiques dans le sous-sol.
"Guérilla juridique"
La requête fait suite à l'annulation, à la suite du vote de la loi de 2011, de deux permis détenus par Schuepbach --dits de "Nant" et "Villeneuve de Berg". Un autre permis ("Montélimar"), détenu par Total, avait également été annulé.
Ces trois permis d'exploration couvraient une surface de plus de 9.600 kilomètres carrés répartis sur sept départements du sud de la France: l'Ardèche, la Drôme, le Vaucluse, le Gard, l'Hérault, l'Aveyron et la Lozère.
Si la question est bien renvoyée au Conseil constitutionnel, celui-ci devra se prononcer sous trois mois sur la légalité de la mesure principale contre l'exploitation des gaz de schiste en France.
"Le lobby des gaz de schiste n'obtiendra pas par une guérilla juridique ce que la mobilisation citoyenne a empêché", a toutefois déjà prévenu la ministre de l'Ecologie et de l'Energie Delphine Batho.
"Le bien fondé de la loi n'est pas mis en cause par le rapporteur du Conseil d'Etat", a-t-elle estimé. Si la loi devait toutefois être remise en cause, "il n'y aurait aucun problème pour adapter le texte, puisque la position du président de la République et du gouvernement ne changera pas", a-t-elle assuré à l'AFP.
S'inquiétant de voir "le climat encore laissé sur la touche", des ONG (dont Greenpeace, Fondation Nicolas Hulot, Réseau action climat, Attac, Les Amis de la Terre) ont insisté pour leur part sur la nécessité que la loi de 2011 "soit confirmée en tant que garde-fou à l’exploitation des ressources fossiles non conventionnelles".
La France serait l'un des pays d'Europe disposant des plus grandes réserves de gaz et de pétrole de schiste. Mais ces hydrocarbures, qui ont bouleversé la donne énergétique aux Etats-Unis, ne sont pas forcément "la recette miracle" en Europe en raison de conditions d'exploitation différentes de celles de l'Amérique du nord, avait souligné début juin à Paris la commissaire européenne en charge du climat, Connie Hedegaard.