La psychiatre d'un patient meurtrier, jugée pour homicide involontaire par le tribunal correctionnel de Marseille, a nié toute négligence mardi lors de ce procès inédit, tout en admettant avoir eu des difficultés à cerner la personnalité de ce malade.
En préambule, le président du tribunal a précisé qu'"on n'était pas en train de juger la psychiatrie", devant une salle où avaient pris place de nombreux confrères venus en soutien. "Mais il n'y a pas dans la société française d'impunité pour qui que ce soit", a ajouté Fabrice Castoldi, avant de soumettre la prévenue à un long interrogatoire.
D'un ton assuré, Danièle Canarelli, médecin dans l'établissement Edouard-Toulouse, est revenue sur le suivi de Joël Gaillard, de son hospitalisation en 2000 à sa fugue le 19 février 2004, vingt jours avant l'assassinat à Gap, à coups de hachette, du compagnon octogénaire de sa grand-mère.
Un meurtre pour lequel cet homme de 43 ans, atteint d'une psychose schizophrénique à forme "paranoïde", a été jugé irresponsable pénalement.
"Ce patient présentait assez peu de difficultés comportementales durant ses séjours à l'hôpital", a assuré Mme Canarelli, petite femme de 57 ans aux cheveux courts, renvoyée devant la justice à la suite d'une plainte du fils de la victime, Michel Trabuc.
Dans son ordonnance, la juge d'instruction Annaïck Le Goff a pointé "des fautes multiples et caractérisées" de la psychiatre ayant "contribué au passage à l'acte violent de Joël Gaillard".
Il lui est notamment reproché de s'être obstinée "dans ses certificats successifs, à noter l'absence de toute pathologie mentale", "en dépit des conclusions" concordantes de ses confrères. Ce qui l'a "conduite à ne pas soumettre son malade à un traitement approprié" et à lui accorder fin 2003 une sortie à l'essai de longue durée.
Pourtant, a rappelé le président, Joël Gaillard avait commis plusieurs agressions, dont une tentative d'assassinat, et sa famille elle-même avait fait part de son inquiétude.
"Je n'ai jamais douté du fait qu'il avait une pathologie psychologique" et "je n'ai jamais contesté sa dangerosité", mais "la pauvreté symptomatologique m'a troublée et m'a posé un problème de diagnostic", a reconnu la prévenue à la barre.
"L'expression du délire s'estompait rapidement et il s'adaptait très bien à la réalité ambiante", a-t-elle expliqué, évoquant "une étrangeté plutôt qu'une grande violence" et défendant le traitement prescrit à l'époque.
Sur l'épisode de la fugue elle-même à l'occasion d'un entretien à l'hôpital, Mme Canarelli a également démenti toute faute. "Nous n'avions pas prévu de renforts, a-t-elle dit, car je n'avais pas deviné" que le patient allait s'enfuir.
"Vous l'accueillez dans un contexte de gestion routinière" malgré les nombreux signaux d'alerte, "on a du mal à comprendre!", a réagi le président.
A la barre, l'ancien chef de service de Mme Canarelli a décrit "quelqu'un de très rigoureux", relevant que "la médecine n'est pas une science exacte".
Les réquisitions étaient attendues en fin d'après-midi dans ce procès très suivi par l'ensemble de la profession. Lundi, l'Académie de médecine avait souligné la difficulté d'évaluer la "dangerosité criminologique" et mis en garde contre "l'utopie du risque zéro".
Avant l'ouverture du procès, plus d'une centaine de soignants en psychiatrie, originaires de toute la région, s'étaient rassemblés devant le palais de justice. Sur les pancartes brandies, on pouvait lire "Ce procès est mon procès" ou encore "Journée sombre pour la psychiatrie".