Cauchemars, insomnies, hallucinations, comportements suicidaires... Plusieurs centaines de soldats français sont revenus d'Afghanistan atteints de troubles psychiques, et selon le service de santé des armées, leur nombre devrait encore augmenter.
Officiellement, environ 400 soldats français ont été reconnus comme blessés psychiques par les médecins militaires.
"C'est un chiffre qui va augmenter. Entre les gens qui n'en parlent pas et qui vont commencer à en parler, et l'effet différé des troubles", confie le médecin-chef Patrick Devillières, chef du bureau médico-psychologique des armées.
Un phénomène longtemps tabou, auquel la Défense consacre un colloque intitulé "Faire face aux blessures invisibles" mardi et mercredi à l'Hôtel des Invalides.
Concrètement, des centaines de soldats de retour d'Afghanistan ont été sujets a des troubles de comportement une fois rentrés chez eux.
"Ca peut être une sorte de détachement, d'irritabilité, d'agressivité. Quelqu'un qui ne reprend pas une activité ou qui ne s'adresse plus à ses enfants", énumère le chef du service psychiatrie de l'Hôpital militaire Percy de Clamart, le médecin-chef Franck de Montleau.
Des comportements parfois ravageurs pour la famille et l'entourage du militaire. Crises de panique et d'angoisse, phénomène de flash-back qui replonge le soldat dans les épisodes de stress aigu qu'il a pu vivre en opération.
"Les cauchemars peuvent être tellement violents que les gens ne veulent plus s'endormir", souligne le médecin-chef Devillières.
Si les blessures psychiques des militaires sont aussi anciennes que la guerre elle-même, elles sont répertoriées depuis les années 1980 par les armées comme troubles de stress post-traumatique (PTSD, Post traumatic stress desorder).
Un concept forgé aux Etats-Unis face à la massification des cas parmi les soldats américains après la guerre du Vietnam.
Les 400 cas recensés en France ne représentent qu'une faible part des quelque 60.000 soldats français qui ont été déployés depuis 2001 en Afghanistan. Mais la plupart des militaires qui y ont été envoyés sont susceptibles de développer ce type de troubles, et ceux qui y ont fait plusieurs séjours sont les plus exposés.
Au-delà des actions de combat, les soldats en opérations, en Afghanistan, comme au Rwanda ou en ex-Yougoslavie pour les générations précédentes, sont confrontés à l'horreur de conflits - charniers, exactions, attentats-suicide, massacres de civils... -, dont certains reviennent profondément marqués.
La formation des médecins militaires envoyés en Afghanistan a été renforcée en psychiatrie pour tenter de repérer le plus tôt possible les signes de PTSD. Et les soldats qui ont été confrontés à la mort - la leur, parce qu'ils ont risqué d'être tués, ou celle des autres - sont particulièrement suivis.
Selon les médecins, la période la plus propice pour déceler les troubles post-traumatiques se situe entre le 3e et le 6e mois qui suivent le retour du militaire. Mais les symptômes peuvent aussi apparaître des années plus tard.
Le nombre limité de soldats français déployés en Afghanistan - 4.000 au plus fort du conflit - ne permet pas d'établir des statistiques.
Les études conduites par l'armée américaine montrent en revanche qu'il s'agit désormais dans ses rangs d'un problème massif, avec plus de 20% des soldats américains envoyés en Irak ou en Afghanistan victimes de PTSD.
L'armée française a développé depuis plusieurs année un suivi psychologique serré des soldats, à leur départ et leur retour d'Afghanistan. Mais si les blessures psychiques sont désormais reconnues, plusieurs intervenants au colloque ont souligné la détresse des militaires et de leurs familles confrontés "au magma administratif" quand ils veulent faire valoir leurs droits.