Le Conseil d'Etat dira mercredi s'il suspend la mutation à Paris de l'ancien procureur de Nanterre, Philippe Courroye, qui a dit à la justice ne "pas comprendre" cette nomination assimilée à "une sanction déguisée".
Le magistrat s'était montré discret depuis l'annonce, en juillet, de son déplacement d'office au poste d'avocat à la cour d'appel de Paris. Il n'avait pas participé lundi à la cérémonie d'installation des nouveaux magistrats de cette cour.
Jeudi matin, il est en revanche venu au Conseil d'Etat qui examinait sa demande de suspendre "en urgence" sa mutation. Dans l'ambiance feutrée de la haute juridiction administrative où les référés sont plaidés autour d'une table qui met face à face les parties, le magistrat et son avocate ont bataillé fermement contre le représentant de la Chancellerie qui a semblé souvent embarrassé dans son argumentaire.
"Je n'ai toujours pas compris les motivations de ma mutation dans +l'intérêt du service+", a déclaré l'ancien procureur de Nanterre où il avait été nommé en 2007.
Mis en cause à ce poste pour sa gestion de l'affaire Bettencourt et sa proximité supposée avec Nicolas Sarkozy, Philippe Courroye, 53 ans, a été muté cet été sur proposition de la Chancellerie et après un avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
"Les nécessités d'évacuer M. Courroye du parquet de Nanterre ne sont en l'heure justifiées par rien", a défendu son avocate Claire Waquet, soulignant le flou des motifs de la Chancellerie qui ferait de ce changement de poste une "sanction déguisée" entachant la légalité de la décision de la Garde des Sceaux Christiane Taubira.
Lors de l'annonce de la mutation du magistrat, la Chancellerie avait fait valoir son souci de ramener "la sérénité" au parquet de Nanterre alors que des procédures pénales --instruites à Paris -- et disciplinaires --au CSM-- visent le magistrat dans le volet des "fadettes" de l'affaire Bettencourt, où il est accusé par Le Monde d'avoir tenté de découvrir les sources de deux journalistes. Le suicide d'un magistrat du parquet de Nanterre courant 2012 avait également avancé.
Devant le Conseil d'Etat, les arguments de la Chancellerie ont semblé plus mouvants, son représentant préférant évoquer des "mises en cause plus générales" du magistrat "qui conduisent à générer une image dégradée de la justice".
"+L'intérêt du service+ est une notion large qui ne repose pas sur la seule existence d'une procédure disciplinaire", a fait valoir le représentant du ministère, sans pour autant étayer ces "mises en cause" d'éléments précis.
Le suicide intervenu au sein du parquet de Nanterre semble avoir disparu de l'argumentaire de la Chancellerie.
Lorsque des procédures pénales ou disciplinaires visent un magistrat, le statut de la profession prévoit une suspension temporaire et non une mutation d'office, a répliqué Me Waquet.
Autre argument du conseil de M. Courroye au soutien de la "sanction déguisée": la diligence "extraordinaire" avec laquelle la mutation a été mise en oeuvre: moins d'un mois entre l'annonce du déplacement de M. Courroye et l'installation à son nouveau poste.
Une rapidité problématique pour l'ancien procureur qui a expliqué que sa nomination est venue contrecarrer le projet qu'il formait "depuis un certain temps" de s'inscrire au barreau de Paris et d'ouvrir son cabinet: le statut de la magistrature ne permet pas de s'inscrire avant cinq ans au barreau d'une juridiction où un magistrat a été poste, Paris aujourd'hui pour M. Courroye.
Le Conseil d'Etat rendra sa décision mercredi 12 septembre. Une audience sur le fond pour faire annuler le décret de nomination est encore à venir, pas avant plusieurs mois.