Problèmes financiers, flambée des prix de l'immobilier ou présence d'enfants en bas âge peuvent rendre la séparation très compliquée, voire impossible. Des situations difficilement quantifiables mais que la crise rend encore plus aiguës et plus visibles.
"C'est un vrai calvaire. Mon mari a décidé que c'était fini mais comme il n'a pas les moyens de prendre un appartement, il reste dans la maison et vit sa petite vie", témoigne une internaute sur le site www.parent-solo.fr.
Si ce phénomène a sans doute "toujours existé", Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, a tenté de savoir si la crise l'accentuait, dans une étude publiée en avril dans la revue Population de l'Institut national d'études démographiques (Ined).
Mais impossible de lier les statistiques des divorces (133.900 en 2010) à la crise économique, leur nombre ayant commencé à augmenter de façon constante dès les années 60, passant de 2,85 divorces pour 1.000 couples mariés à près de 11 aujourd'hui, selon l'Insee.
De façon générale, depuis plusieurs décennies, les conjoints, mariés ou non, "rompent de plus en fréquemment leur union", note aussi l'Insee.
Autre difficulté, entrer dans l'intimité de ces couples pour connaître leurs motivations n'est pas chose aisée: ces situations sont "pour une bonne part invisibles et difficiles d'accès au regard sociologique", note Claude Martin.
En interrogeant des couples dans cette situation, le chercheur a néanmoins pu relever "l'importance des conditions économiques dans lesquelles se déploient les trajectoires conjugales et donc de l'importance de la crise et des craintes qu'elle inspire".
Il cite Jacques, restaurateur de 54 ans, installé dans une relation de ce type depuis près de dix ans, qui évoque "la peur de l'appauvrissement", estimant que "le divorce est un grand saut dans la précarité".
Quitte à vivre "un véritable chaos conjugal", comme en témoigne Roland, professeur de 49 ans.
"Il m'arrive souvent de renvoyer les gens chez eux en leur disant qu'ils n'ont pas les moyens de divorcer", explique l'avocate Hélène Poivey-Leclercq, qui pense qu'il y a peut-être "un peu plus" de cas avec la crise.
Pour la sociologue Sylvie Cadolle, "c'est la cherté du logement qui conduit l'un des deux à retarder son départ, parfois indéfiniment, c'est l'élément fondamental" qui rend "les séparations plus difficiles qu'il y a vingt ans".
Nathalie Guellier, à la tête du site parent-solo.fr, confirme que le problème du logement apparaît régulièrement dans les forums de discussions.
Si les questions financières "crispent" davantage des séparations, "ça n'empêche pas les gens de divorcer" à terme, nuance Me Poivey-Leclercq.
Mais il n'y pas que la question financière.
Claude Martin note aussi la valeur aujourd'hui "accrue" de "l'exercice du rôle parental" qui peut prendre le pas sur la relation conjugale.
Et qui peut pousser les parents à endurer un semblant de vie familiale pourtant pénible, dans le souci d'épargner à leurs enfants une vraie séparation.
Mais pour que cela soit vivable, "il faut que les parents gardent une certaine estime l'un envers l'autre, sinon ça dégénère très vite", ajoute Sylvie Cadolle, et les enfants peuvent en être les premières victimes.
Reste à savoir si ces couples séparés cohabitants sont plus fréquents aujourd'hui, s'interroge M. Martin.
Parce que le divorce n'est plus stigmatisé, il estime que "le pourcentage de couples insatisfaits qui restent ensemble est probablement moindre statistiquement aujourd'hui qu'il y a une cinquantaine d'années".
En revanche, "les couples contemporains pourraient être plus conscients de leur condition et de leur malheur conjugal" et plus à même de s'en ouvrir à leurs proches, rendant ainsi le phénomène visible, y compris dans la presse.
Dès lors, même si ce genre de situation n'est pas nouveau, c'est "le dilemme de vivre dans une telle situation (qui) pourrait être nouveau", conclut-il.