Cumulant les casquettes chez Nissan, Renault et Mitsubishi, le PDG globe-trotter Carlos Ghosn est l'un des grands noms du secteur automobile mondial, à la tête d'une alliance inédite qu'il a contribué à mettre au point.
Homme fort de Nissan depuis 17 ans, M. Ghosn vient d'y céder la direction exécutive à son dauphin Hiroto Saikawa, mais reste président du conseil d'administration. Ce Franco-libano-brésilien qui aura 63 ans début mars demeure parallèlement PDG du français Renault et dirige depuis fin 2016 le conseil d'administration de Mitsubishi.
C'est une page qui se tourne pour Carlos Ghosn, envoyé au Japon par Renault en 1999 pour redresser Nissan puis nommé PDG en 2001. Surnommé le «cost killer » («tueur de coûts»), il a transformé un groupe au bord de la faillite en une société très rentable, ce qui lui vaut une certaine vénération dans l'archipel, où il est devenu héros de manga.
Mais M. Ghosn, qui n'est pas homme à se reposer, ne compte pas tirer sa révérence de sitôt. «Ce changement programmé va me permettre de consacrer plus de temps et d'énergie pour gérer l'évolution stratégique et opérationnelle de l'alliance ainsi que son expansion», explique-t-il.
La galaxie des marques de l'alliance et son empreinte géographique, donne le tournis: Renault, Dacia, Samsung Motors, Lada, Alpine, Nissan, Infiniti, Datsun, Mitsubishi... Au total, elles ont écoulé tout près de 10 millions d'unités en 2016, juste derrière Volkswagen, Toyota et General Motors.
L'emploi du temps de M. Ghosn devrait donc rester tout aussi chargé, partagé entre le Japon, la France et les marchés automobiles clés (Etats-Unis et Chine notamment). Au Japon, avec un oeil sur Nissan (groupe qui compte 152.000 employés), Carlos Ghosn va tâcher de remettre sur pied Mitsubishi Motors (30.000 personnes), plongé l'an dernier dans un scandale de fraude. En France, il garde les pleins pouvoirs chez Renault (120.000 salariés).
Camouflet des actionnaires
Ses collaborateurs saluent son charisme, sa concentration et sa qualité d'écoute. Mais M. Ghosn, allure hiératique voire sévère, s'est séparé ces dernières années de plusieurs «numéros deux», dont Carlos Tavares devenu depuis dirigeant du groupe PSA, ce qui peut rendre la question de sa succession compliquée.
Ce père de quatre enfants, né au Brésil dans une famille d'origine libanaise, a gardé des liens avec sa terre ancestrale, où il a fait ses études chez les Jésuites et où il est propriétaire d'un vignoble.
Son parcours professionnel, entamé chez Michelin en 1978 après des études d'ingénieur (X-Mines), a conduit le polyglotte Ghosn en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, où il est devenu en 1989 le PDG de la firme au Bibendum. C'est en 1996 qu'il entre au sein de Renault, alors tout juste émancipé après quatre décennies de tutelle étatique, s'imposant comme le successeur de Louis Schweitzer.
Malgré des choix audacieux, comme la propulsion électrique qui après des années laborieuses semble enfin devoir décoller, M. Ghosn essuie son lot de critiques, en particulier de la CGT, deuxième syndicat chez Renault, qui dénonce une gestion uniquement financière de l'entreprise et des conditions de travail dégradées.
Plus rare, M. Ghosn a subi en 2016 un camouflet de ses actionnaires, dont l'Etat qui jouit de 20% des droits de vote: ils ont rejeté en assemblée générale une résolution à valeur consultative sur sa rémunération, soit 7,25 millions d'euros au total.
Le gouvernement socialiste français et M. Ghosn s'étaient déjà accrochés en 2015 sur la question des droits de vote doubles pour les actionnaires de long terme, ce que Nissan avait vu comme une modification de l'équilibre savant gouvernant les participations croisées avec Renault.
Interpellé à la mi-septembre sur son salaire lors d'échanges avec des étudiants de l'école de commerce de Cergy, l'essec, M. Ghosn avait rétorqué que dans le monde de l'industrie automobile, «le talent, l'expérience acquise, l'unicité, (cela) se paie», tout en soulignant à deux reprises: «je ne parle pas de moi».