La France est restée empêtrée au deuxième trimestre dans une croissance zéro, forçant le gouvernement à corriger très nettement ses prévisions pour 2014, tout en appelant à l'indulgence européenne pour son déficit.
Le pays a vu son Produit intérieur brut (PIB) stagner au deuxième trimestre comme déjà au premier, a annoncé l'Insee jeudi, relevant que la quasi totalité des moteurs de croissance était en panne.
Cette panne a été d'envergure européenne : l'Allemagne a annoncé jeudi une contraction de 0,2% de son PIB au deuxième trimestre, l'Italie est retombée en récession, la zone euro toute entière a elle aussi affiché une croissance zéro, malgré des sursauts au Portugal et en Espagne.
Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Saint Cyr, se dit face à ces chiffres "pas particulièrement surpris, plutôt résigné."
Pour lui, France et zone euro appellent "un diagnostic japonais". "Au Japon aussi tout a commencé avec une crise de nature financière dans les années 1990, puis le pays est parti dans une faible inflation voire une déflation, parfois un peu de croissance, parfois pas, des déficits qui s'accumulent et une politique monétaire qui entretient le statu quo", rappelle-t-il.
Pas de relance des investissements
En France, le printemps a vu un nouveau recul de l'investissement des entreprises (-0,8% par rapport au premier trimestre, qui avait déjà vu une baisse de 0,7%), en dépit de l'aide du gouvernement (40 milliards d'euros en quatre ans).
"Le chiffre de l'investissement promet d'être négatif encore un moment. L'objectif du Crédit d'impôt compétitivité et emploi était de le relancer mais jusqu'ici ça ne prend pas", constate pour l'AFP Denis Ferrand, directeur général de la société de recherches Coe-Rexecode.
Le commerce extérieur a confirmé son statut de point noir, coûtant 0,1 point de PIB sur le trimestre. Seules la consommation des ménages (+0,5% au deuxième trimestre par rapport au premier, surtout grâce à un retour à la normale de la consommation d'énergie après un hiver très doux) et la dépense publique (+0,5%) ont soutenu l'activité.
"La croissance est bloquée par un problème massif d'offre", selon Patrick Artus, économiste de Natixis, pour qui "le soutien de la consommation profite aux importations et pas à la production domestique que ce soit d'industrie ou de services".
Prévisions gouvernementales sabrées
Le ministre des Finances Michel Sapin a pris acte de cette "panne" dans une tribune publiée jeudi par le Monde, revoyant à 0,5% la prévision de croissance officielle pour cette année, moins que le niveau de 1% espéré au départ et à peine mieux que la croissance de 0,4% en 2013.
Il n'attend pas pour 2015 une croissance "très supérieure" à 1%.
Confronté de plus à une inflation plus faible que prévu, le ministre a prévenu que le déficit public dépasserait 4% du PIB cette année, au lieu des 3,8% espérés, et a estimé qu'il fallait "adapter le rythme de réduction des déficits" en Europe, sans pour autant réécrire les traités.
Dans une interview à Europe 1, il a précisé qu'il n'était pas question d'augmenter les impôts ou de faire plus d'économies pour corriger le tir.
Un nouveau délai
La France doit dans ces conditions abandonner son espoir de ramener en 2015 le déficit public à la limite européenne de 3% du PIB.
Pour Christopher Dembik, économiste de Saxo Banque, "vu l'indulgence dont a fait traditionnellement preuve Bruxelles à l'égard de la France, on peut craindre que Paris obtienne un délai supplémentaire", ce qu'il juge "regrettable" car cela découragerait les réformes.
M. Sapin a aussi demandé à la Banque centrale européenne (BCE) d'aller "au bout de ses possibilités" face au risque de déflation.
Critiques à droite comme à gauche
A droite, les réactions ont été vives: l'ancien Premier minstre François Fillon a déploré que "la France s'enfonce dans le marais de la stagnation". "Le retournement de la conjoncture promis par François Hollande apparaît pour ce qu'il était: un leurre, une basse manoeuvre politicienne pour gagner du temps", a-t-il ajouté.
"Ce qui m'inquiète c'est la première réaction de M. Sapin (...) qui consiste à dire +c'est la faute de Bruxelles+ ou +c'est la faute de la Banque centrale européenne (...) C'est à Paris qu'il faut changer les choses", a repris Laurent Wauquiez, vice-président de l'UMP, sur RTL.
Député UMP de l'Oise et ancien ministre du Budget, Eric Woerth, a estimé que ce mauvais chiffre signait "l'échec du pacte de responsabilité qu'a proposé François Hollande, qui n'arrive pas à se mettre en œuvre (... ) qui ne produit pas le déclic que le gouvernement pensait".
A gauche et pour des raisons opposées, l'ancienne ministre écologiste Cécile Duflot a estimé sur Twitter que "c'était prévisible" et demandé "pourquoi continuer dans une mauvaise direction ?".
La CGT a pour sa part appelé à "rompre avec l'austérité" et le pacte de responsabilité, dont elle a dénoncé "la nocivité".