Recherche bouchers désespérément: confortée par le besoin de sécurité alimentaire, et en fort contraste avec la poussée du chômage, la boucherie artisanale recherche des bras par milliers, un comble dans un pays d'élevage et de gastronomie.
A Limoges, haut lieu de tradition bouchère, berceau de la race Limousine, "il y a une cinquantaine d'années, la célèbre rue de la Boucherie, fief historique de la profession (...) comptait huit artisans bouchers. Aujourd'hui, je suis le dernier", explique François Brun dans une ville où exercent encore une vingtaine d'artisans bouchers, contre 80 au début des années 60.
Il y a les boucheries qui ferment, et celles qui peinent à trouver la main d'oeuvre pour grandir. En région parisienne, il manque au moins 450 apprentis bouchers par an, plus de 6.000 au niveau national, estime Bernard Mérhet, président de la Fédération des artisans-bouchers d'Ile-de-France.
Partout l'analyse est similaire : "on a un métier qui n'attire pas trop, même si cela reste un métier extraordinaire, et qui a beaucoup changé", dit M. Mérhet. Problème persistant d'image et "héritage d'un certain mépris français pour les filières manuelles, et professionnelles", diagnostique François Brun.
Après le plombier, le boucher polonais ? A Bordeaux, une boucherie-charcuterie en pleine expansion, qui allie méthode artisanale et volumes semi-industriels, la Charcuterie Bordelaise, a fait grand bruit fin 2012 en se disant quasi-contrainte de recruter 20 bouchers étrangers par une agence d'intérim en Pologne, à des salaires confinant au dumping.
"Mais c'est ici qu'on veut recruter, on a quand même plus de 3 millions de chômeurs...", tempère son PDG Arnaud Chedhomme. Qui après son coup de gueule médiatisé, a reçu plus de 600 CV de toute la France. Et envisage de créer sur site, à Villenave d'Ornon, sa propre école de boucherie.
Paradoxe apparent: les métiers de bouche deviennent glamour, les chefs étoilés, des stars. Mais de candidats bouchers, point.
"Il y a certes une valorisation de ce qui est cuisine, Master Chef, etc, qui a rendu sexy le métier de cuisinier. Mais la transformation, boucherie ou charcuterie, reste non valorisée. Il faudrait sans doute lancer un +Master Boucher+...", ironise M. Chedhomme.
Le métier pourtant, a changé. L'image du "gars qui porte des carcasses de 300 kilos sur le dos, aux semaines de 70-80 heures", c'est fini, assurent en choeur les professionnels. La quasi-totalité sont équipés de rails (pour acheminer les carcasses), les semaines font 35 heures, 42 maximum. Et ça paie.
Un apprenti peut espérer débuter à la Charcuterie Bordelaise bien au-dessus du Smic pour 35 heures, rapidement passer à 1.700 euros net (environ 2.200 bruts), assure M. Chedhomme.
Découpant délicatement une carcasse, Céline Chambet, une brunette de 24 ans en 2e année de brevet professionnel, raconte s'être tournée, naturellement, vers la boucherie après un CAP de... coiffure, des mois de travail mais aussi sept de chômage. Le déclic : les débouchés "boucher" qui abondaient à Pôle emploi, et "le travail de la viande. J'aime vraiment travailler ce produit, le transformer, pour le plaisir du client".
"Les jeunes commencent à comprendre", assure M. Mérhet. "C'est clair, on voit désormais des gamins bardés de diplômes parfois des bac +4, bac +5 plus", intégrer l'Ecole professionnelle de Boucherie qu'il dirige à Paris (XIIe). Ou bien des candidats, plus âgés, à une reconversion.
Et puis la profession sent le vent tourner, sur fond de paranoïa alimentaire, avec un consommateur en demande de proximité, de traçabilité: "Comme à chaque fois qu'il y a un accident industriel", dit-il.
"Nous, on ne travaille pas le minerai (les chutes de viande, ndlr), on travaille sur la bête, de race identifiée", rappelle-t-il, soulignant que les bouchers ont vu leurs ventes augmenter de près de 10% depuis la récente saga de la lasagne au cheval.
Il en est convaincu: "on verra dans quelques années se recréer des boucheries dans des quartiers où il est aujourd'hui impensable qu'il n'y en ait pas, ou plus".