Polar à la James Ellroy, Paris Police 1900 replonge dans la Belle Epoque, qui n'avait de belle que le nom...
Cet ambitieux thriller historique en huit épisodes de 52 minutes, saisit la France en pleine mutation politique, technologique et sociale, et plonge dans une société gangrénée par la haine antisémite, la montée de l'extrême-droite et la pauvreté. Une société ultra-violente en particulier vis-à-vis des femmes, encore privées de la plupart des droits élémentaires. Elle a été créée par Fabien Nury, brillant touche-à-tout à qui l'on doit notamment les BD Katanga (Dargaud, 2017) et La Mort de Staline (Europe Comics, 2010), adaptée au cinéma en 2018 par Armando Ianucci, mais aussi la série Guyane diffusée en 2017 sur Canal+.
d'après une histoire vraie
Cette nouvelle création française est tirée d’un véritable fait divers : au début du siècle dernier, le corps d’une femme a été repêché dans la Seine, sans jambes ni tête. L’enquête n’a jamais été élucidée, ce qui a inspiré Fabien Nury, le créateur qui souhaitait «réaliser une fiction historique, où se télescopent un crime mystérieux et un contexte politique violent, opposant les dreyfusards et antidreyfusards », comme il l'a confié au Parisien. «J’avais croisé Lépine dans mes recherches pour des projets antérieurs et j’avais en tête qu’il avait été rappelé en urgence en 1899 au moment du procès de Rennes, c’est-à-dire au climax de l’affaire Dreyfus. Cela en faisait un super protagoniste : un homme du passé, du 19e siècle, mais avec une vision de l’avenir. Il y a le concours Lépine qui l’a rendu célèbre, mais je voulais dépasser ce pittoresque pour montrer un autre aspect de son attachement au progrès, comme le déploiement du téléphone dans les services de police. Parallèlement, j’ai découvert les tarés antisémites du journal L’Antijuif, Fort Chabrol et ses 38 jours de siège. Historiquement, je ne pouvais pas trouver plus fort : Lépine, c’est comme le vieux shérif qu’on rappelle au moment de la crise et qui va affronter l’Al Capone antisémite. Il y avait dans la réalité historique une dramaturgie dont je pouvais me servir», a-t-il détaillé pour Canal+.
Quant à la direction artistique, Fabien Nury revendique son envie de traiter la Belle Epoque comme l'époque victorienne en Angleterre : «Sherlock Holmes et Jack l’Éventreur, c’est gothique et sombre. En France, l’imaginaire visuel de la Belle Époque restait à explorer. La Belle Époque, c’est le début du Théâtre de Grand-Guignol. Donc de la violence. C’est aussi l’époque où toute la population se passionne pour le fait divers sanglant. Quand Pierre Souvestre et Marcel Allain, les suiveurs d’Eugène Sue et de ses Mystères de Paris, racontent Fantômas, on s’est dit que cette époque se rêvait elle-même comme un feuilleton policier. Dès lors, on savait qu’on pouvait raconter cette série comme un feuilleton policier, haletant et d’une grande noirceur plutôt que comme une chronique nostalgique».
Paris Police 1900 plonge en 1899, tandis que la République est au bord de l’explosion, prise en étau entre les ligues nationalistes et antisémites et la menace anarchiste. Le président Félix Faure vient de mourir. La République, épuisée par l’affaire Dreyfus, prise en étau entre les ligues nationalistes et antisémites et la menace anarchiste, n’a jamais paru si faible. Alors que le préfet Lépine est rappelé pour maintenir l’ordre dans Paris, le cadavre d’une inconnue retrouvé dans la Seine entraîne Antoine Jouin, inspecteur ambitieux de la criminelle, et Jeanne Chauvin, la première femme avocate, au coeur d’une enquête complexe. Cette affaire intéresse aussi Joseph Fiersi, inspecteur corrompu qui engage Meg Steinheil - la courtisane accusée d’avoir tué le président au cœur fragile pendant des rapports sexuels - comme espionne. Ces personnages que tout oppose devront s’unir pour affronter un coup d’état.
un casting (génialement) hors des sentiers battus
A tous ceux que les fictions en costumes rebutent, Paris police 1900 va les réconcilier avec le genre. D'abord parce qu'elle n'exhibe pas la traditionnelle tête d'affiche qui se trémousse dans la dentelle pour que son simple nom attire le chalan. Certains y incarnent des personnages ayant réellement existé, comme Louis Lépine, Marguerite Steinheil ou Jeanne Chauvin, d'autres des protagonistes fictifs. Les acteurs ont ici tous été recrutés avec un critère très précis : ne pas être reconnaissables. La méthode s'avère diablement efficace pour permettre aux téléspectateurs de rentrer dans l'histoire.
« J’aimais aussi l’idée que les spectateurs voient des personnages sans reconnaître nécessairement des acteurs. C’est le cas de Marc Barbé qu’on n’identifie pas tout de suite en Lépine, alors qu’on l’a pourtant vu dans des tas de films et sur scène. On a privilégié les acteurs qui avaient une expérience de théâtre, parce qu’on avait des textes pas très naturalistes et que je voulais des gens à l’aise avec mes dialogues », a ajouté Fabien Nury. Le casting compte aussi les participations de Jérémie Laheurte (La vie d’Adèle), Evelyne Brochu (Trop, café de Flore), Thibaud Evrard, Eugénie Derouand, Christian Hecq de la Comédie Française, Patrick d’Assumaçao, Alexandre Trocki, Hubert Delattre, Valérie Dashwood, ou encore Christophe Montenez. Eviter les têtes d'affiche superstars était une riche idée, Paris Police 1900 réussit aussi pleinement son pari historique en évitant l'académisme de la reconstitution. De quoi largement rivaliser sur ce terrain avec les hits anglo-saxons que sont Peaky Blinders, The Knick, l'Aliéniste ou encore Boardwalk Empire.
Des costumes et décors somptueux
Dotée d'un budget de deux millions d'euros par épisode, Paris Police 1900 fait un impressionnant saut dans le temps au début du XXe siècle. Cadrage, lumière, profondeur de champ... Un grand soin a été apporté à chaque détail, conférant une atmosphère unique à la série. La production n'a pas lésiné sur les moyens en tournant notamment dans des décors grandeurs natures, et ce en bouclant des rues de Paris pendant huit jours. « On a un témoignage photographique extraordinaire dès la fin du XIX siècle. J’ai puisé dedans pour en retirer l’essentiel », explique Pierre Quefféléan, chef décorateur de la série, récompensé aux Césars l'an passé pour son travail sur le film « Au revoir là-haut » d'Albert Dupontel. « On raconte un murder mystery, on a décidé d’être dans les codes du polar avec des ambiances sombres et extrêmement patinées. Nous ne devions pas perdre de vue que Paris à cette époque était en pleine mutation, portait les traces de guerre récente, et de grands chantiers en cours pour la moderniser. Elle fonctionnait encore au charbon de bois et s’éclairait au pétrole. C’était une ville crasseuse et fumante...», précise-t-il. En tout ce sont six mois de tournage qui auront été nécessaires, une centaine d'acteurs, 20 cascadeurs, plus de 200 costumes, ainsi qu'une trentaine de calèches.
«Pour la partie historique, on n’a pas essayé de recréer Paris tel qu’il était en 1900. On avait envie de pousser un peu le voyage vers quelque chose de plus 'exotique', explique pour Canal+ Julien Despaux (Zone Blanche) qui réalise les quatre premiers épisodes (Frédéric Balekdjian s'est chargé des épisodes 5 à 7 et Fabien Nury du dernier). On a créé cette esthétique à partir de certains repères : les réverbères, les pavés, les calèches, en tirant vers plus de western, plus de gothique aussi, comme le mythe de Jack l’Éventreur pour les Londoniens. On a essayé de recréer un univers qui sert une mythologie qui reste européenne même si les influences sont assez anglo-saxonnes. » Certains lieux comme le laboratoire Bertillon, où est né en 1879 le «système Bertillon» ou «anthropométrie judiciaire» ont été recrées sur photos, et les accessoires dénichés chez un collectionneur avec l’aide du musée de la police.
Côté costumes, c'est notamment à la costumière Anaïs Romand (Saint Laurent) que la tâche dantesque a été confiée. « Le volume de création sur cette série est énorme : plus de 90 rôles et silhouettes et beaucoup de figurants. Tous les costumes des rôles ont été fabriqués ainsi qu’une grosse partie de ceux de la figuration. Certains costumes sont réalistes, comme les uniformes des policiers, ou le costume officiel du préfet Lépine quand il pose pour son portrait : c’est un authentique habit de préfet 1900 avec toutes les broderies, les cannetilles d’or, qu’on a trouvé chez un loueur de costumes. Mais à part ce costume d’apparat, tout a été fabriqué sur des bases de costumes assez classiques de 1900 : redingotes, jaquettes, complets vestons, gilets pour les hommes, et robes de jour, de promenade, tailleurs, robes du soir pour les femmes…», a expliqué Anaïs Romand, costumière. Tous ces efforts participent à la pleine réussite du projet.
La diffusion des huit épisodes de 52 minutes de Paris Police 1900 seront diffusés en exclusivité sur Canal+ à partir du 8 février, les lundis à 21h à raison de deux par soirée, et disponibles en intégralité dès le premier jour sur myCanal. Une question se pose d'ores et déjà, y aura-t-il une saison 2 ? « Je travaille dessus, elle se passera en 1905, donc six ans plus tard. Les personnages ont tous beaucoup changé et ce sera une autre histoire », a révélé Fabien Nury.