Depuis l'arrivée du Covid-19, le vocabulaire des Français s'est enrichie de mots et de néologismes étranges, dont certains sont devenus (très) agaçants, à force d'être rabachés.
Signes d'une période sombre pour la vie sociale, voici dix d'entres eux, entendus ad nauseam, qu'on espère ne jamais voir intégrer les dictionnaires..
l'apéro virtuel
Apéro-zoom, coronapéro, apéro-Skype,...Autant de termes pour désigner une pratique qui nous a amusés pendant une quinzaine de jours, au maximum. L'idée de se retrouver entre amis par écran interposée, était séduisante sur le papier. Mais le temps a passé, et à force de ne plus partager que ses poches sous les yeux, ses verres d'alcool trop remplis et sa barbe de trois semaines, la lassitude a fait son œuvre. Où est le plaisir quand l'apéro-zoom tant attendu ressemble finalement à la réunion de travail du lundi matin, à 9h. En 2021, nous espérons retrouver le plaisir des bonnes vieilles conversations low-tech, même les plus inintéressantes. D'une part, vous sauverez la banquise en évitant de surcharger la bande passante, d'autre part vous pourrez continuer à faire illusion en évoquant votre grand rangement annuel et vos bonnes résolutions tout en redressant l'oreiller de votre lit que vous n'avez pas quitté de la journée.
attestation
Ou plutôt les attestations, que l'on remplit à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il fallait bien sûr prévoir une bonne ramette de papier imprimante, avant l'arrivée de l'attestation électronique, un agenda précis, jauger si le déplacement prévu était essentiel (notion très fluctuante). Après le «Nous sommes en guerre» d'Emanuelle Macron, le Gouvernement en rajoutait donc une couche dans la lutte armée face au Covid avec le concept de couvre-feu, un principe plus utilisé en France au niveau national depuis...la Seconde Guerre mondiale. De là à donner à ceux qui sortaient sans le précieux sésame, rasant les murs avec leur sac de courses comme seul argument, le nom de résistants... Si on pouvait enfin espérer une diminution croissante du recours à ces attestations en 2021, l'arrivée du vaccin va permettre d'innover. Nul doute qu'après avoir dû prouver sa bonne foi pour sortir de chez soi, il faudra désormais fournir la preuve de sa bonne piqûre pour faire son shopping ou aller au cinéma (si les salles rouvrent un jour).
Présentiel
«Tu travailles lundi ? En télétravail ou en présentiel ?» En quelques mois, le fait d'être physiquement présent au bureau est devenu tellement incroyable que le mot «présentiel» a envahi nos vies. Espérons qu'en 2020, ce mot va peu à peu se réréfier. L'académie française le déteste, d'ailleurs, puisqu'il s'agit du détournement du mot anglais presential. Elle suggère de dire à la place «je travaille en présence». Mais à vos risques et périls, car Nathalie, votre collègue du service compta, risque alors de vous demander : «En présence de qui ?»
Cas contact
Un nom qui claque, qui aurait pu porter un sens plus positif avant le coronavirus. Le cas contact aurait pu être ce clene du Capitaine de soirée, ou de l'organisateur de la Fête des voisins. Celui qu'on sollicite le premier en cas de besoin, qui fait les efforts que les autres n'ont pas eu le courage de faire, reconnaissable à son badge tendance griffé K Kontact (et une couleur différente selon l'âge, le sexe, la langue utilisée, les heures disponibles). Mieux encore, on aurait vu fleurir sur les réseaux sociaux - avec des centaines de Like à la clé - les visuels Je suis un K Kontact. Et pourtant...Il est au contraire devenu, par la grâce d'un virus microscopique, celui qu'on fuit, qu'on espère ne jamais avoir croisé, sorte de Dame blanche pestiférée qui promet la mort au bout de la route. Pire, la vindicte sociale vous guette. Car si l'on arrive à plaindre ceux que le virus a contaminé en intégrant enfin la notion d'empathie (même si le reproche de son manque de respect des consignes sanitaires vient dans la foulée), le cas contact cumule toutes les tares. Non seulement il a flirté avec le mal utlime, mais il oblige tout son entourage à se calfeutrer, quand bien même il pèterait la forme. En bref, un inconséquent inutile qui nuit à la productivité de la Nation. Tous vos collègues se feront alors un plaisir de vous rappeler que votre masque n'était jamais bien porté, que vous n'auriez jamais dû inviter un ou une amie, même après 2 mois de désert social, que même sous l'orage, un vélo vaut mieux qu'une rame de métro. Seul bon aspect du concept de cas contact, il offre aux salariés des open-space une bonne activité ludique. Qui a travaillé à côté de lui ? Qui a fait sa pause dej' en sa compagnie, qui a touché le même rapport de réunion ? Avec qui ose-t-il faire encore sa pause clope ? Pour les managers hypocondriaques et peu portés sur le télétravail, c'est plutôt le début de l'enfer : à partir de quel niveau le cas contact du cas contact cesse d'être cas contact ? Dans ce cas, se réferrer à la théorie des six poignées de mains inventée en 1929, qui explique que toute personne sur cette planète peut être reliée à n'importe quelle autre, au travers d'une chaîne réduite à «six poignées de main». Effrayant en période de pandémie.
commerce essentiel
Dès le départ, l'utilisation du terme essentiels, pour désigner les commerces et activités qui pouvaient rester ouverts malgré le confinement, était promise à la critique. Cela revenait à peu près à répondre à la question Qu'est-ce que le bonheur? Tout à la sauvegarde de notre économie, inquiet par la menace d'une pénurie de pâtes chez les habitants, le gouvernement avait rapidement laissé ouvert les supérettes et les grandes surfaces. Mais, Ô scandale au pays de Molière, Hugo et Uderzo, les librairies ne l'étaient pas. Les ministres avaient beau se justifier, concédant ça et là leur amour de la lecture, de la BD, et par extension, du théâtre et du cinéma (qui eux n'avaient aucune chance d'ouvrir, n'étant pas essentiels à la survie biologique et recevant, en plus, du public), rien n'y a fait. Dans un ubuesque respect des consignes administratives (que même une pandémie ne changera donc pas dans l'Hexagone), les supermarchés devaient alors interdire, à grand renfort de vigiles, l'accès aux rayons «non-essentiels» de leur magasins. Attention au client qui aurait cédé à la demande de son enfant devant la couverture d'un Harry Potter, d'un jouet qui l'aurait éloigné quelques temps des écrans, et même d'un manteau ou d'un micro-onde (on y croit moins). La colère montait, on n'était plus très loin des autodafés au coeur de la supérette, et les acteurs, réalisateurs, auteurs et éditeurs en venaient même à s'entredéchirer par médias interposés pour savoir si leur métier, leur passion, valaient de «clusturiser» un peu plus les sanctuaires de la consommation. Avec, toujours, le géant Amazon (qui comptait les sous sans bouger le petit doigt) en point Godwin ultime. Un intérêt par ricochet de la notion de commerce essentiel ? Elle a permis de tordre le coup à certains a priori sur ce qui est, ou non, essentiel pour nos voisins européens. Et force est de constater que pour ce qui est des forces de l'esprit, de l'importance de l'intellect en période de crise, et de la culture comme gage de développement, la Belgique et la Suisse nous ont fait la leçon, laissant leurs librairies ouvertes malgré le confinement. Chez les Allemands, finalement plus réceptifs à la Dolce vita, tous les commerces ont été jugés essentiels, seuls les bars (autre clin d'oeil aux a priori ?) devant fermer.
concert virtuel
Il faut bien l'avouer, avant la pandémie mondiale, le concert virtuel, c'était un peu de la science-fiction. Tout au plus, à l'époque révolue du DVD roi, le concert (ou la pièce de théâtre, l'opéra ou le spectacle) filmé, c'était l'assurance de trouver un cadeau de Noël sans risque en cas de manque d'inspiration, de faire une bonne action en achetant le dernier concert des Enfoirés, ou d'éviter les urgences en cas d'acouphène. Mais comme pour l'apéro-zoom, le concert virtuel est devenu en 2020 rien d'autre qu'un cache misère : celui de tout un secteur qui aura vainement tenté de faire de la culture une activité essentielle. Terminé les verres de bière en plastique qui volaient au premier pogo déclenché par votre voisin, le T-shirt avec date et lieu du concert d'il y a 10 ans qu'on porte fièrement pour prouver sa fidélité, l'envie irrépressible de faire 30 minutes de queue pour aller aux toilettes au moment ou le groupe joue enfin LE morceau culte. Une grande question demeure : en 2021, vaut-il mieux se contenter de concerts à distance d'un géant de la musique mal en point, ou croiser les doigts en espérant qu'il sera toujours vivant quand les salles pourront rouvrir ?
distanciation sociale
Dans la famille novlangue qui cache une dure réalité, la distanciation sociale, physique, ou encore l'éloignement sanitaire se trouvent en bonne place. Cette mesure ne date pourtant pas d'hier. Sa dénomination en tout cas, a été utilisée dès 1918. Et l'on doit à la grippe espagnole (une sorte de muse indépassable pour le coronavirus) la première apparition de l'expression. Le médecin Max C. Starkloff aurait ainsi, en octobre de cette année-là, prôné dans le Missouri le concept de «social distancing» (distanciation sociale, Ndlr), interdisant les rassemblements de plus de vingt personnes (une tolérance d'un autre temps). Une formule anglo-saxonne qui peut être la cause de bien des méprises, et qui se charge de sous-entendus dans la langue de Molière. Des méprises anticipées par Edouard Philippe, alors Premier ministre, en mars 2020, qui avait de son côté utilisé l'expression «distanciation spatiale», finalement plus adaptée à la réalité de la mesure. Car avec la distanciation sociale, de quoi parle-t-on finalement ? Celle qui, immuable, existe entre classes aisées et pauvres ? Celle qui, géographique, laisse les riches en centre-ville et envoie les classes laborieuses en banlieue ? (Dans ces cas récis, pas d'inquiétude à avoir, la distance sera toujours bien respectée...). L'Académie française, juge de paix quand il s'agit du sens des mots, confirme d'ailleurs dans son dictionnaire que jusqu'à présent, cette expression désigne plutôt «le refus de se mêler à d’autres classes sociales». On a connu plus fédérateur comme injonction.
FFP2
FFP2...Un nom qui aurait presque pu faire rêver les fans de jeux vidéo, voire de cinéma, tout au long de cette belle année 2020. S'agit-il du prochain Final Fantasy perfect ? Malheureusement, tout un chacun a pu se rendre compte, lorsque le port du masque - jusqu'alors inutile selon les «experts» - est devenu nécessaire, puis obligatoire pour se protéger du virus (le temps de refaire les stocks et d'éviter une panique générale), qu'il s'agissait avant tout de la dénomination d'une norme sanitaire pour juger de l'efficacité des différents types de masques. Peu à peun il a été remplacé par le masque chirurgical, réputé suffisant. Une chose est sûre, cet accessoire de prêt-à-porter va malheureusement rester un «must have» furieusement tendance en 2021.
gel hydroalcoolique
Avant la pandémie, ces petits flacons permettaient surtout de repérer les hypocondriaques. Désormais, celui qui n'a pas son gel hydroalcoolique personnel sur lui en permanence est un dangereux rebelle. Compagnon indissociable du masque, il est même devenu un gage de sérénité et un signe de confiance. On peut sans risque parier, dans nos sociétés de plus en plus hygiénistes, que l'utilisation du gel hydroalcoolique fera désormais partie des habitudes prises pendant cette pandémie qui resteront même après sa disparition. Dommage que pour la plupart de ces gels, l'odeur rappelle avant tout celle d'un appartement après une grosse fête étudiante un peu trop alcoolisée, et rapidement "nettoyé" à coup de Jaggermeister mal digéré.
geste barrière
En dessins, sous forme de liste, déclinés comme des mantras... Le respect des gestes barrière, que tout individu est invité (le mot est faible) à reproduire dès qu'il est en présence de tiers doivent permettre de réduire la transmission du virus. Pour ceux qui retrouveraient la civilisation après une année passée sur la Lune ou sur une île déserte, il s'agit (selon la fiche officielle de Santé publique France) des 10 commandements anti-covid : port du masque, lavage régulier des mains, éternuement dans son coude, mouchoir à usage unique, distance d'un mètre avec les autres, contacts sociaux limités à 6, ne pas se toucher le visage, aérer les pièces 3 fois par jour, ne pas se serrer les mains ni s'embrasser, et utiliser l'appli TousAntiCovid. Pour bien les retenir, un petit exercice pratique : prenez le métro aux heures de pointes. Une fois dans la rame, éternuez dans votre masque, puis tentez de trouver un espace avec moins de 6 personnes, toutes à un mètre de distance de vous, ce qui vous permettra d'ôter rapidement votre masque - sans vous toucher le visage - pour vous moucher. Le but étant ensuite de se désinfecter rapidement les mains avec son gel avant de retoucher la barre centrale pour se maintenir alors que le métro effectue un freinage brusque.
Monde d'après
Ah, le fameux «monde d'après»...Tous les marxistes et écologistes ont rêvé d'un grand soir pour changer la marche du monde. Changement de système économique, changement des habitudes de consommation, des relations de travail, de nouvelles solidarités... Manque de chance, c'est une pandémie mondiale qui prépare ce monde d'après, avec des commerçants à l'agonie, une surconsommation de data, une explosion du chômage et un état psychiatrique de la population alarmant. Certes, on sait désormais faire cuire notre pain et nous sommes devenus des as des coquillettes au jambon,mais l'immense majorité va surtout devoir composer avec une situation économique, sociale et sanitaire pleine d'incertitudes.
En ce moment, on croise surtout les doigts pour que le monde d'après le Covid-19 ne soit pas celui du Covid-21, 22, 23 ou 24...