Game of Thrones a atteint sa conclusion au terme d’un épisode final dans la lignée d’une saison 8 particulièrement frustrante pour de nombreux fans.
Game of Thrones est clairement la série télévisée la plus influente de la décennie et une des plus omniprésentes dans la culture populaire. Et certainement une des plus réussies, quoiqu’on puisse penser de ce dernier épisode, qui n’est pas forcément le naufrage que certains annoncent (il y a eu des bons moments). Si cette popularité peut paraître insupportable, voire exagérée pour une partie des téléspectateurs, la saga lancée en 2011 sur par HBO a réussi à captiver des millions de fans qui, chaque année, attendaient patiemment la diffusion des nouveaux épisodes. Et passaient le reste du temps à élaborer des théories plus ou moins pertinentes, en visionnant pour la énième fois les saisons précédentes, et/ou en analysant les livres de George R.R. Martin (et en s’abonnant à des chaînes YouTube exclusivement dédiées à la série).
Les ingrédients du succès ? Du sexe, des relations incestueuses, des complots, de la violence et du sang, diront les paresseux. Pour les fans, cette série s’est longtemps distinguée par la qualité de ses intrigues, la finesse de ses dialogues, la richesse de l’Histoire liant les différentes Maisons de Westeros, sa manière bien à elle de surprendre son auditoire (notamment en tuant des personnages en apparence incontournables, et souvent de façon violente), de jouer habilement avec les nuances de la stratégie politique (et son impitoyable cruauté), le tout en jonglant avec sa propre mythologie et une bonne dose de magie. Avec au cœur de tout cela, l’évolution des personnages dont on a suivi le parcours au fil des saisons.
Mais depuis la fin de la saison 5 – moment marquant la distanciation de la série avec l’œuvre de George R.R. Martin, celui-ci n’ayant pas fini de rédiger la suite – les fans n’ont pu s’empêcher de remarquer un appauvrissement dans l’écriture, notamment dans le développement de leurs héros. Une tendance qui a probablement atteint son paroxysme avec cette ultime saison 8. Et ce pour de multiples raisons.
Un problème de temporalité
On en avait déjà parlé pour la saison 7. Mais cet ultime chapitre a encore franchi un palier dans l’urgence et la précipitation. Là où Game of Thrones brillait dans sa manière de faire monter la pression, épisode après épisode, dialogue après dialogue, pour finalement atteindre cet instant fatidique où tous les dominos se mettaient à tomber inexorablement pour déboucher sur une scène explosive, surprenante, et aux conséquences dramatiques, cette saison 8 transpire la précipitation, et parfois même donne le sentiment d’un travail bâclé tant les téléspectateurs sont trimballés d’une situation à une autre, ou téléportés d’un endroit à un autre, sans que rien ne soit réellement mis en perspective.
La série a elle-même placé la barre des exigences de ses fans très haut, et la vitesse avec laquelle les questions que se posaient ces derniers ont été traitées dans cette saison 8 (quand elles n’ont pas été totalement ignorées) après près de dix ans à fantasmer sur les réponses laisse forcément un goût amer dans la bouche de beaucoup d’entre eux. Pas facile non plus de se sentir concerné par le destin ou les luttes internes d’un personnage quand celui-ci passe d’un état à un autre en un claquement de doigt.
Des showrunners pressés d’en finir ?
Dans la désormais célèbre interview de David Bienoff et Dan D.B. Weiss avec le site d’Entertainement Weekly, les showrunners ont clairement expliqué être ceux qui ont demandé de conclure la série en deux saisons de treize épisodes au total, sept pour la saison 7, et six pour la saison 8. «HBO nous a dit : ‘Nous vous donnerons les ressources pour faire ce qui sera nécessaire’», explique Weiss. «HBO aurait été ravie de poursuivre la série, d’avoir plus d’épisodes pour la dernière saison», renchérit David Bienoff. Les deux hommes soutiennent pour leur part que 73 heures étaient largement suffisantes pour offrir la meilleure conclusion possible à Game of Thrones.
Bah en fait, non les gars. Les deux dernières saisons utilisent des ellipses de temps qui ont clairement eu une influence sur la qualité générale de la série. Un exemple ? La révélation des véritables origines de Jon Snow, qui était une des intrigues majeures tout au long de la série, aura finalement à peine été effleurée. Le principal intéressé a joué les surpris (vite fait, il est parti bouder dans la crypte) avant de rapidement passer à autre chose. Sa tante, dont il venait de tomber amoureux, lui a juste demandé de se taire parce que ça contrariait ses plans. Et celles qui étaient ses sœurs, mais qui étaient finalement ses cousines, n’ont pas vraiment réagi face à l’annonce, alors que leur père a porté ce secret tout au long de leur existence. Ah si, Sansa, qui avait juré de ne rien dire, a tout balancé à Tyrion Lannister dans la minute où elle l’a appris. Sans que Jon Snow ne s’en émeuve outre mesure, ou quiconque d’ailleurs. Les téléspectateurs ont été privés de dialogues entiers qui les auraient probablement aidés à se sentir un peu plus impliqués au moment où ces nœuds majeurs de l’histoire étaient en train de se défaire devant leurs yeux, et qui représentaient le cœur de l’intrigue toutes ces saisons.
Le dénigrement de la «fantasy»
Dans Game of Thrones, la présence et l’usage de la magie étaient au moins aussi importants que la stratégie politique et les luttes de pouvoir entre les différentes Maisons. Pendant plusieurs saisons, les téléspectateurs ont été éblouis par les dragons, captivés par la légende d’Azor Ahai et du Seigneur de la Lumière, attirés par les pouvoirs de la Corneille-à-trois-yeux et du Roi de la Nuit, etc.
Mais au moment de la conclusion de cette saison 8, certains de ces éléments semblent avoir été largement sous-exploités par la série. Seul Drogon, le dragon de Daenerys Targaryen, a eu droit à son heure de gloire au moment de détruire Port-Réal (et de faire preuve d’un sens d’analyse peu commun lorsqu’il a fait fondre le trône de fer, symbole de tous les troubles sur le continent). Brandon Stark, qui a été absent une saison entière avant de devenir la Corneille-à-trois-yeux, n’aura finalement fait que peu usage de ce qui avait été présenté comme d’incroyables pouvoirs. Idem pour le Roi de la Nuit, dont l’anéantissement aura été réglé en un épisode, après des années à le présenter comme un être quasi-invincible…
Le Roi de la Nuit et les Marcheurs Blancs, WTF ???
Toute cette histoire de Marcheurs Blancs et de Roi de la Nuit illustre parfaitement la frustration de certains fans. Dès le premier épisode de la saison 1, ils apparaissent comme la menace ultime qui s’apprête à détruire Westeros pendant que les Maisons se livrent des guerres futiles pour savoir qui règnera sur le Royaume des Sept Couronnes. Le secret de leurs origines, et la véritable motivation les poussant à entamer une campagne d’invasion après des millénaires passés en retrait de la civilisation, était un des mystères les plus captivants de la série qui distillait des informations au compte-gouttes au fil des saisons, créant une aura bien particulière autour de ces zombies de glace et de leur leader.
La tension est montée d’un cran quand Jon Snow s’est retrouvé face au Roi de la Nuit lors de la bataille de Hardhome. Ou quand Bran Stark a découvert la manière dont ce dernier a été créé par les Enfants de la forêt dans le but de se défendre face aux Premiers Hommes. Les livres ne manquent pas de détails les concernant. Mais dans Game of Thrones, on n’en apprendra pas plus sur les Marcheurs Blancs et le Roi de la Nuit. La signification des fameuses spirales a été complètement abandonnée à notre libre interprétation. Et le chef des zombies glacés, malgré l’étendue de ses pouvoirs, a finalement été terrassé par une jeune fille armée d’une dague en acier valyrien qui n’avait jamais croisé sa route auparavant, et non par un des deux personnages – Jon Snow et Brandon Stark – avec lesquels il avait déjà une histoire. Pourquoi pas après tout. Mais on aurait toutefois aimé en savoir plus sur ceux qui semblaient être à l’origine de la célèbre phrase «Winter is coming». Et qui auront finalement disparu des radars à la moitié de cette saison 8 au terme d’un seul et unique épisode.
Brandon Stark, l’homme qui ne sert à rien
Surprise, surprise. Après avoir répété à de nombreuses reprises qu’il ne voulait pas régner sur Winterfell, car il n’était plus vraiment un homme, mais un être exceptionnel doué de pouvoirs dépassant l’imagination baptisé la Corneille-à-trois-yeux, voilà que Bran a finalement accepté de faire le voyage jusqu’à Port-Réal pour devenir le nouveau souverain du royaume des Sept Couronnes. Tadam !!! Ah bah, on ne l’avait pas vu venir celle-là.
Ses pouvoirs, durement acquis auprès de son prédécesseur, n’auront finalement pas servi à grand-chose pendant la guerre face à l’armée du Roi de la Nuit, du moins de ce que l’on sait (à part faire de la reconnaissance avec des corbeaux pour mieux apprécier le carnage, et offrir un peu de réconfort à Theon Greyjoy avant que celui-ci n’aille se faire empaler par le Roi de la Nuit). Il a été très fort dans le rôle d’appât en revanche.
Lui qui est capable de sonder le passé, de savoir à peu près tout ce qui se passe dans le présent (et il demande à Tyrion Lannister de recruter un maître des chuchoteurs, lui qui entend tout ? La bonne blague !), et apparemment de deviner l’avenir, n’aura jamais dévoilé aucune information de valeur à ses camarades, mis à part le fait qu’il était la mémoire de Westeros et que le Roi de la Nuit était prêt à mettre sa vie en péril pour le tuer. A quel point était-il au courant de ce qui allait se passer ? Avait-il déjà compris qu’il serait désigné roi (apparemment oui) ? Pourquoi n’a-t-il jamais rien dit alors ? Est-il formé sur la question du continuum espace-temps et, de fait, ne voulait pas interférer avec le futur ?
Dernière chose, Tyrion Lannister explique que l’histoire personnelle de Bran Stark est la plus à même de captiver les foules autour de son règne, et que cela est la meilleure raison qui soit pour faire de lui le nouveau roi de Westeros.
Et Arya alors, c’est pipi-de-chat, une nana qui est devenue une tueuse professionnelle et a littéralement sauvé l’humanité toute entière en poignardant le Roi de la Nuit après un tour de passe-passe avec une dague en acier valyrien ?
Et quid de l’histoire de Jon Snow, qui n’a même pas été évoquée une seconde durant la grande réunion des Seigneurs ? Un bâtard qui était en fait le fils né de l’union secrète entre un prince Targaryen (Rhaegar) et la sœur d’Eddard Stark, dont la relation est à l’origine de la révolte de Robert Baratheon, et de son accession au pouvoir, qui se trouvait de fait être l’héritier légitime du trône, et qui a passé son temps à tenter d’unir le continent face à la menace des Marcheurs blancs, avant de tuer sa bien-aimée devenue un monstre génocidaire pour assurer une paix durable dans le monde.
On comprend l’effet de surprise, hein, le fait de ne pas forcément se plier à l’attente des fans. Mais quand on passe sept saisons à construire l’arc spécifique d’un personnage (dont la seule existence a des ramifications sur l'ensemble de la vie politique et militaire du continent), et qu’on finit par l’écarter totalement de l’histoire pour le renvoyer à son point de départ (à Château-noir, ndlr), oui, je confirme, ça pique un peu les yeux.
Jon Snow, l’homme qui ne sait rien
Là aussi on nous a bien eus ! Toutes les théories autour du «prince qui était promis», et toutes ces sornettes liées à la légende du Seigneur de la Lumière ne s’appliquaient finalement pas à Jon Snow. Mélisandre, la prêtresse rouge qui l’a ramené à la vie au début de la saison 6 en pensant qu’il était celui qui allait libérer l’humanité, savait finalement – et contre toute attente – qu’il n’était qu’un pion en charge de la logistique et de l’organisation, et non celui qui allait porter le coup fatal au Roi de la Nuit (elle avait dit à Arya qu’elle allait «fermer des yeux bleus», et BAM !!!).
Tout le mystère sur la véritable identité de Jon Snow, et l’importance de celle-ci sur le dénouement de l’histoire ne l’était pas tant que cela finalement, quand bien même cela a été l’une des histoires majeures développées sur l’ensemble de la série, pendant près de dix ans. Le fait qu’il soit le fils de Rhaegar Targaryen et Lyanna Stark, et accessoirement l’héritier légitime du trône, était au mieux un des nombreux éléments qui ont poussé Daenerys Targaryen, sa tante, sa reine, et celle qu’il aime, à devenir comme son père, Aerys Targaryen, dit le «Roi Fou», à savoir un pyromane avec un fort attrait pour la tyrannie.
Daenerys Targaryen, l’improbable reine folle
Et encore une surprise de taille ! Oui, oui, oui, certains affirment que la série avait donné quelques indices tout au long des sept saisons sur le fait que Daenerys Targaryen pouvait éventuellement devenir la «Reine folle». Plusieurs théories avaient d’ailleurs vu le jour sur le sujet. George R.R. Martin lui-même avait expliqué que son livre n’avait pas vocation à raconter une bataille entre les méchants d’un côté, et les gentils de l’autre, mais plutôt la lutte qui se joue dans le cœur d’un individu qui fait le mal en pensant faire le bien.
Mais dans la précipitation de la saison 8, Daenerys Targaryen semble être passée du statut de la souveraine bienveillante prête à se sacrifier pour le bien commun, à celui de despote pyromane voulant tout cramer sur son passage en l’espace d’un ou deux épisodes. Sur le seul prétexte qu’elle avait perdu ses plus proches amis, qu’elle était déprimée, et que donc, cela était largement suffisant pour la faire basculer du côté obscur de la force.
C’est un peu court après avoir, des saisons durant, bâti le parcours de cette jeune femme qui est passée de simple monnaie d’échange dans les tractations de son frère Viserys avec les Dothrakis, à celui de reine potentielle. Plusieurs dizaines d’épisodes ont été consacrés à son évolution, où nous avons suivi son apprentissage de la politique, ses difficultés à choisir entre l’usage de la force et la clémence, ou encore le fait de savoir quand écouter ses conseillers, et quand prendre les choses en main. Et là, en à peine deux épisodes, Daenerys Targaryen sombre dans la folie la plus totale avant de se faire tuer sans panache par son neveu. Et que sa dépouille ne soit emportée par Drogon, comme un ultime symbole qui, au final, nous laisse complètement froid tant il paraît surfait. Dommage.
L’absence des écrits de George R.R. Martin
Au final, cette saison 8 illustre une chose évidente : à partir du moment où les showrunners n’ont plus été en mesure de se reposer sur les écrits de George R.R. Martin, Game of Thrones a commencé à perdre de sa superbe. Pour se conclure sur une déception partagée par une large partie des fans, qui n’auront finalement pas eu les réponses à de (trop) nombreuses questions que posaient la série depuis près de dix ans. En 2014, David Bienoff et D.B Weiss avaient révélé s’être entretenus avec l’auteur afin que ce dernier leur dévoile la finalité de son histoire, et du destin de chacun des personnages. Il est donc tout à fait possible que la conclusion de la série soit plus ou moins concordante avec la direction souhaitée par George R.R. Martin. Et que Bran Stark terminera également sur le trône dans les livres de l’auteur.
Mais à l’époque, George R.R. Martin avait également précisé que, s’il avait exprimé l’idée générale concernant la conclusion de l’histoire, les détails manquaient, et que toutes les pièces du puzzle n’étaient pas encore en place. Et c’est bien là que le problème réside avec les deux dernières saisons de Game of Thrones. La présence de ces détails manque cruellement à cette conclusion, alors qu’ils étaient ce qui avait permis à la série de se distinguer des autres. La déception était prévisible au moment même où les showrunners ne disposaient plus de l’incroyable richesse contenue dans les textes de George R.R. Martin. Rien ne semble plus évident aujourd’hui, et cela est bien dommage.