Dimanche soir, Michel Hazanavicius a gravi les marches pour «Le Redoutable» dans lequel l'acteur Louis Garrel incarne le réalisateur suisse Jean-Luc Godard.
Avec ce biopic impertinent sur l'icône de la Nouvelle Vague, le réalisateur français brigue pour la troisième fois la Palme d'or après «The Artist» (2011) et «The Search» (2014).
Tout comme dans «OSS 117», vous surprenez le public avec un film très original. Comment l’idée de ce film vous est-elle venue?
C’est la lecture des livres d’Anne Wiazemsky, dont le film est tiré, qui m’ont rempli de tout ça. Je suis tombé sur les livres un peu par hasard un jour en prenant le train de Bruxelles. Et c'est cette lecture qui m'a donnée envie de faire le film. J’avais un personnage très complexe, très paradoxal, avec des forces positives et négatives... A la fois tragique et à la fois drôle... Des choses qu’on adore et qu’on déteste. Ce qui était déjà assez excitant en termes de cinéma. Il y avait aussi un enjeu formel. Un peu dans la veine de ce que j’avais fait sur «OSS» et «The Artist», c’est-à-dire raconter Godard par la forme même du film. Le style du film imprime quelque chose sur le personnage raconté.
Connaissiez-vous l’histoire d’Anne Wiazemsky et de Jean-Luc Godard avant de lire les livres?
Je ne connaissais pas du tout l'histoire d'Anne. Je savais que c’était l’actrice de Godard et qu’ils avaient été mariés quelques années mais je n’en savais pas plus. Le film donne une porte d’entrée intime à leur relation et la figure mythique de Godard devient un personnage qui s’appelle Jean-Luc. C’était très prometteur pour moi. Cela ouvrait plein de possibilités.
A quel moment vous êtes-vous dit qu’il y avait un film à faire?
J’ai tout de suite essayé d’avoir les droits. Ca a été compliqué mais finalement Anne a accepté. Et je me suis engagé sans savoir si j’irai au bout. Parce qu’il fallait avoir un bon scénario. J’ai beaucoup lu, vu ses films, vu des interviews, lu des articles qu’il avait écrits sur lui... Et puis à un moment donné, avec toute cette somme de choses sur Godard, Godard est devenu Jean-Luc. C'est là que j’ai eu un autre rapport à lui et que j’ai compris qu’il ne s’agissait plus de Godard. Il s’agissait de faire un film dont le personnage principal s’appelait Jean-Luc. C'est quand les choses ont commencé à prendre forme que je me suis dit que j’irai jusqu’au bout.
Vous avez parlé de nombreuses recherches, mais avez-vous aussi fait des rencontres?
Je connaissais Romain Goupil, qui m’a raconté des choses. J’ai rencontré Daniel Cohn-Bendit. Mais je n’ai pas tellement chercher à faire ce type de recherches-là. Parce que je ne voulais pas créer une thèse sur Jean-Luc Godard, ni un documentaire, ni un jugement impartial sur Jean-Luc Godard. Le film se sert de ce personnage-là, joue sur la figure de l’icône pop que tout le monde connaît. Le film est un jeu autour de ça. J’ai inventé un personnage. Celui-ci a d'ailleurs parfois un côté complètement clown ou Pierre Richard parce que je voulais en faire de la comédie. M’amuser de cette figure-là de plein de manières différentes. Parfois c’est du comique de situation, du burlesque, du grotesque ou du slapstick. Parfois même, c’est très distancié. L’idée était vraiment de créer un Jean-Luc qui m’arrangeait moi. De son côté, Louis Garrel incarne le personnage et en fait autre chose. Il y avait mon Godard à moi et Garrel en a fait son Godard à lui.
Justement, comment avez-vous travaillé le personnage avec lui?
Il connaissait très bien qui était Godard. Et puis c’est un acteur qui travaille énormément. On a beaucoup parlé. L’imitation le rebutait complètement. Et d’ailleurs je crois qu’au final il ne fait pas du tout une imitation. C’est vraiment une incarnation. On a eu une grande discussion pour savoir quel était le degré de ressemblance auquel on voulait accéder. Que ce soit physiquement ou dans le phrasé. L’idée était de trouver un personnage moyen entre Garrel et Godard. Louis pourrait tout à fait mieux imiter Godard s’il le voulait mais ce n’était pas l’idée parce que quand on rentre dans l’imitation on ne peut plus rien jouer après. Le seul objectif devient de ressembler à une certaine image de Godard. Ce n’était pas ce qu'on voulait faire. On voulait en faire un être humain. Donc on a fait le minimum physiquement : un peu de calvitie, une vieille paire de lunettes, un costume... En trois traits, on esquisse la figure de Godard. Pour le phrasé, c’est la même chose. Ce n’est pas une imitation pure et dure de Godard. C’est le minimum pour que le spectateur accepte l’idée que c’est lui. Pour ouvrir l’imaginaire... Et en même temps pas trop, de manière à laisser le maximum de place à l’acteur pour qu’il puisse jouer à la fois des scènes d’intimité, des scènes comiques et des scènes politiques.
D’un point de vue formel, beaucoup de choses sont tirées de la grammaire cinématographique de Godard.
Bien sûr… Soit, ce sont des détournements de choses qu’il a faites, soit ce sont des changements de contextes. Il y a même des morceaux de phrases de Godard. Des procédés qui sont les siens comme prendre un morceau de Roland Barthes et le mettre dans une voix off. Des choses qu’il a pu faire ou qu’il aurait pu faire. La scène avec les sous-titres qui décrivent le sous-texte par exemple ; à ma connaissance, il ne l’a jamais fait, mais il aurait très bien pu le faire. Si je n’avais pas fait un film sur Godard, je ne l’aurai pas fait. Mais, encore une fois, ce n’est pas un abécédaire de Godard. Ce n’est pas de la citation pour de la citation. Je les remets dans une autre dynamique qui est celle de l’histoire.
Il y a une certaine ironie à présenter ce film à Cannes.
En effet, il y a quelque chose d’ironique à venir ici justement parce que c’est le Festival et que le Festival adore Godard. Jean-Luc Godard, lui, n’est pas très intéressé par tout ce monde-là et c’est assez drôle que malgré le fait qu'il n'ait pas envie de venir, on le fait revenir à Cannes de force malgré lui avec ce film-là. J’essaie vraiment de faire un film populaire. Il se trouve que j’ai fait un film muet en noir et blanc que j’avais vraiment pensé comme un film populaire. Je voulais que n’importe qui puisse voir «The Artist». Le Festival lui a donné une vie un peu extraordinaire et c’est finalement devenu un film tout à fait populaire. J’avais aussi conçu «The Search» comme un film populaire mais il n’a pas fonctionné en salles, personne ne l’a vu… Avec ce film-là, je continue à essayer de faire des films populaires. Je suis ravi d’être à Cannes avec un film à vocation populaire. Je suis très content d’être là et en même temps j’ai aussi la sensation de jouer à l’extérieur. Je ne sais pas trop comment les critiques cannois comprennent le film mais pour l’instant ça se passe bien.