Après des mois de controverses et de manifestations, le temps du vote est venu. Les députés de la majorité sont appelés à rester soudés pour la réforme des retraites, dès ce 17 février à l'Assemblée nationale, face à une mobilisation exceptionnelle des oppositions et aux turbulences dans leur propre camp.
Emmanuel Macron a exhorté les quelque 300 députés «marcheurs», alliés aux 46 MoDem, à être «unis» et à «vendre cette réforme qui est une réforme de justice», lors d'une réception le 11 février à l'Elysée. Traduction par une source parlementaire: il va falloir «faire en sorte que pas une tête ne dépasse».
D'autant que les départs de LREM s'enchaînent et que le parti présidentiel est sous le choc du spectaculaire retrait de Benjamin Griveaux de la course pour la mairie de Paris, après la diffusion d'une vidéo à caractère sexuel. Dans l'hémicycle, la majorité présidentielle sera confrontée aux 41.000 amendements déposés par les oppositions. «La nécessité de faire bloc interdit l'expression de voix discordantes», a estimé récemment l'ex-ministre PS Jean-Jacques Urvoas, qui a connu les «frondeurs» sous le quinquennat de François Hollande.
Le patron des députés LREM Gilles Le Gendre l'assure: ils ont «hâte» de rentrer dans le vif des retraites, qui vont les occuper jusqu'à l'adoption définitive attendue à l'été. Aux avant-postes, figurent les «ambassadeurs» qui ont présenté ces derniers mois la réforme dans leurs territoires. Certains sont co-rapporteurs ou porte-parole sur ce texte, ils maîtrisent mieux que leurs collègues ce dossier très technique et sont parfois en lien avec les syndicats réformistes. Ils auront face à eux une figure bien connue, le secrétaire d'Etat Laurent Pietraszewski, député jusqu'en décembre.
Difficile de parler d'une seule voix
Les réunions internes se sont multipliées pour expliquer et aussi déminer. «Nous sommes très alignés, et persuadés du sens de cette réforme» promise en 2017, martèle Marie Lebec, première vice-présidente, qui espère «un débat de fond» avec droite et gauche. Mais premier accroc: deux piliers de la commission des Finances de l'Assemblée, Emilie Cariou et Laurent Saint-Martin, ont soumis cette semaine une série des questions au Premier ministre sur «la faisabilité financière de la réforme», notamment au vu des compensations accordées à certaines professions.
Edouard Philippe a voulu y voir des ralliements à son «attention» constante aux questions d'équilibre. Les députés sont en partie privés de ces questions puisque ce sont les partenaires sociaux, réunis au sein de la conférence de financement, qui sont censés trouver d'ici avril des mesures permettant d'atteindre l'équilibre financier du système de retraite en 2027.
«A la fois on est ravis de cette confiance accordée, mais on aurait aimé traiter ce sujet», souligne une «marcheuse». Certains ne se privent pas de présenter leurs pistes, pour «mettre la pression sur la conférence». Ainsi Matthieu Orphelin (ex-LREM), allié à Jean-François Cesarini, figure de l'aile gauche de la majorité, Sacha Houlié et encore Aurélien Taché, suggèrent une majoration de la cotisation de solidarité pour les très hauts revenus.
«Il faut être responsable»
Des députés emmenés par Martine Wonner, autre membre de l'aile sociale, entendent aussi «faire valoir (leurs) pleines prérogatives de législateurs» sur la pénibilité, alors que les concertations entre gouvernement et partenaires sociaux coincent.
Ces interventions se font mezzo voce à ce stade, et l'on est loin des batailles internes sur les sujets régaliens comme asile-immigration. Gilles Le Gendre avait appelé les troupes à la «modération sur les amendements», pour ne pas bousculer «un édifice déjà bien stabilisé». Les «marcheurs» en ont déposé 600.
Même appel d'Emmanuel Macron lui-même : «Tout ce qui passera par amendement devra être financé», «il faut donc être responsable», a demandé le président. Les députés sont appelés à se mobiliser pour assurer les votes et répondre aux oppositions, mais leur marge de manoeuvre est réduite. «Tout le monde se prépare à l'épreuve de durée», glisse un macroniste.
Et ce, dans un climat de «violences» et «ressentiments» qui traverse le pays et qu'ils «catalysent», comme l'a reconnu le chef de l'Etat. C'est là leur plus grande crainte: «Les retraites, c'est le brûlot qui met le feu partout, après les réformes de la justice, du bac...», lâche un vieux routier du Palais Bourbon, qui «ne peu(t) pas dire comment ça va se terminer».