Trois mois et demi après un incendie dans la plus grande station d'épuration d'Europe, à 30 km de Paris, élus et associations redoutent un nouvel incident sur ce site Seveso, notamment après le sinistre qui a ravagé l'usine Lubrizol de Rouen.
Le 3 juillet, un incendie de grande ampleur se déclarait dans un bâtiment de cette usine de traitement des eaux du Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap), qui s'étend sur les communes d'Achères, Maisons-Laffitte et Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).
Un panache de "fumée grise bien compacte" s'échappe du site classé "Seveso seuil haut" - comme l'usine Lubrizol de Rouen -, se souvient Jocelyne, une commerçante de 53 ans.
En quelques heures, une unité contenant des cuves de chlorure ferrique, servant à débarrasser les eaux usées de leur phosphore, est détruite par les flammes.
L'usine Seine aval, qui traite 60% des eaux usées de l'agglomération parisienne, soit 1,5 million de m3 d'eau par jour, est contrainte de réduire drastiquement sa capacité. Des eaux chargées de matière organique sont rejetées dans la Seine, y entraînant une forte chute de la teneur en oxygène.
Les jours suivants, une dizaine de tonnes de poissons morts sont repêchées dans une Seine déjà en surchauffe à cause de la récente canicule.
Mais la situation a été plutôt bien maîtrisée par le Siaap, estime Bernard Breton, président de la Fédération de la pêche en Ile-de-France. Très vite, deux stations d'oxygénation ont été installées en bord de Seine et une partie des eaux à traiter redirigée vers d'autres stations du Siaap. Et le "retour à la normale" pour la faune piscicole "a été très rapide", selon lui.
- Pas de détecteur de fumée -
Les raisons du sinistre restent encore floues. Un court-circuit électrique près de cuves en maintenance est vraisemblablement à l'origine du départ de feu, a indiqué le Siaap lors d'une réunion en sous-préfecture de Saint-Germain-en-Laye. Le bâtiment touché par le sinistre ne disposait pas de détecteur de fumée, qui "devait être installé en 2020", a reconnu le président du syndicat Belaïde Bedreddine.
Un expert indépendant missionné par le syndicat doit rendre ses conclusions sur l'incendie après une quatrième visite prévue début novembre.
Une enquête de la Direction régionale et interdépartementale de l'Environnement et de l'Énergie (Driee) est également en cours, ainsi qu'une enquête judiciaire.
Un audit de sécurité indépendant va également débuter mi-novembre, pour des résultats attendus fin juin 2020.
Pour l'heure, seule certitude, l'incident est intervenu après une série de dysfonctionnements dans l'usine. "En 18 mois, il y a eu deux incendies et un incident", dû à un dégagement accidentel de dioxyde d'azote, concède son directeur Yann Bourbon.
L'association environnementale Robin des bois dénombre, elle, une dizaine d'incidents. Il s'agissait essentiellement de "fuites de biogaz sans gravité" sur des installations anciennes, répond M. Bourbon, précisant en avoir informé les autorités "en toute transparence".
Avant l'accident de juillet, la Driee avait émis des recommandations pour améliorer la sécurité de l'usine. "Mais l'évolution technologique" en la matière "ne peut se faire en deux-trois ans", a expliqué M. Bourbon. Des travaux de "refonte totale du site", prévus sur 20 ans, devraient s'achever en 2028, précise-t-il, pour un coût total de 2,5 milliards d'euros.
Une mise en place trop lente pour les élus locaux, inquiets "pour le futur", comme Maurice Chevigny, maire de la commune limitrophe de La Frette-sur-Seine (Val-d'Oise). Avec d'autres maires du secteur, il a écrit au ministère de l'Ecologie pour l'alerter sur la taille de la station qui s'étale sur 600 hectares.
"Ca entraîne la présence de beaucoup de produits chimiques", s'inquiète-t-il, réclamant au Siaap la liste complète des produits stockés. Le syndicat s'y est engagé. "On n'a rien à cacher", a souligné le président du Siaap.
Pressé de questions d'élus et d'associations sur la sécurisation du site durant cette "période transitoire", le préfet Jean-Jacques Brot a estimé qu'il fallait "donner du temps au temps" et "faire avec les contraintes humaines, budgétaires et techniques".
"On ne remet pas aux normes aussi vite qu'on écrit un tweet", a renchéri Belaïde Bedreddine. Mais "on respectera à la lettre" les recommandations découlant de l'audit, a-t-il promis.