Après sept mois de "gilets jaunes", le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner lance lundi une réflexion devenue "nécessaire" sur le maintien de l'ordre, en promettant de tout mettre "sur la table" mais en continuant de contester l'existence de "violences policières".
Une quinzaine d'experts seront réunis à Beauvau pour plancher sur "une évolution en profondeur" de la doctrine et des méthodes du maintien de l'ordre, rendue "nécessaire" par "la montée des violences et la multiplication des débordements en marge des manifestations observées ces dernières années", explique le ministère.
Dans un entretien au Journal du Dimanche, Christophe Castaner a assuré que cette "réflexion stratégique" explorera toutes les dimensions du maintien de l'ordre, y compris les plus controversées.
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"Tout est sur la table, y compris la question des modalités d'usage des LBD", les lanceurs de balles de défense accusés d'avoir gravement blessé des manifestants, a-t-il détaillé.
"D'autres moyens peuvent être renforcés comme les lanceurs d'eau qui sont utilisés en Allemagne ou même les chevaux dont les policiers anglais sont équipés", a-t-il lancé entre autre pistes.
Au programme du séminaire selon le ministère: des "retours d'expérience", un "regard sur le maintien de l'ordre en Europe", des ateliers sur "la médiation et l’interaction avec les manifestants", "la communication externe et l’information du grand public", "l'utilisation des moyens de force intermédiaire" et "la judiciarisation des opérations de maintien de l’ordre".
Parmi les experts sont notamment conviés le procureur de la République adjoint au parquet de Paris, Olivier Christen, l'ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, le sociologue Patrick Bruneteau et l'ancien chef du groupement de sécurité et d'intervention de la gendarmerie nationale, le général d'armée Jean-Régis Vechambre.
- "Nouvelle psychologie des foules" -
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Mobilisation contre le barrage de Sivens --dans laquelle le militant écologiste Rémi Fraisse a été tué par un tir de grenade--, contestations de la loi travail, Notre-Dame-des-Landes, manifestations de "gilets jaunes": pour le ministère, la "nouvelle psychologie des foules observée ces dernières années" pousse à cette réflexion.
Les manifestations de "gilets jaunes" qui ont parfois dégénéré en violents affrontements et en scènes d'émeutes ont ranimé les polémiques sur le maintien de l'ordre, alimentées par les images de manifestants violentés, blessés à la main ou éborgnés.
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Le LBD et les grenades de désencerclement, auquel les forces de l'ordre ont eu trois à quatre fois plus recours en 2018, ont été régulièrement dénoncés par les manifestants.
"Quel que soit le moyen de défense utilisé, il peut toujours y avoir des blessés", a argumenté Christophe Castaner dans le JDD.
Selon le ministère, des évolutions ont déjà été mises en oeuvre depuis la journée du 1er décembre 2018, marquée par des saccages sur les Champs-Elysées, avec un renforcement de "la réactivité, la mobilité et l’autonomie des forces sur le terrain".
Les manifestants continuent eux de dénoncer des "violences policières", terme que rejette catégoriquement Christophe Castaner qui a redit dans le JDD qu'il "n'acceptait pas" cette expression.
Selon les "gilets jaunes" qui ont organisé une "marche des mutilés" début juin, 23 personnes ont été éborgnées depuis le début du mouvement le 17 novembre, 5 ont perdu la main, un a été amputé d'un testicule, un a perdu l'odorat et une "dizaine" de manifestants ont eu d'autres blessures graves (à la mâchoire, au pied...).
Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur à la mi-mai, 2.448 blessés ont été recensés côté manifestants et 1.797 parmi les forces de l'ordre, sans plus de précisions sur la gravité.
Depuis le début du mouvement, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, a été saisie de 265 enquêtes judiciaires, dont près de 40% (105) ont à ce jour été transmises aux parquets.
Interrogée jeudi sur la nécessité d'une réforme du maintien de l'ordre, la patronne de l'IGPN estimait qu'"on y échappera pas". "Mais ce n'est pas le moment de le faire. On est encore dans un moment de manifestation et de contestation qui ne permettent pas à la police nationale de s'arrêter et de prendre du recul", estimait Brigitte Jullien.