Le dernier jour du procès du polémiste Dieudonné, jugé à Paris pour fraude fiscale, blanchiment ou encore abus de biens sociaux, a vu s'affronter mercredi les versions inconciliables du parquet, qui a requis 18 mois de prison ferme, et de la défense, pour qui tout est en règle.
Pendant plus de sept heures, jusqu'à 22H00, les avocats de l'humoriste controversé ont répondu point par point aux salves de questions qu'il a laissées sans réponse en opposant, depuis le début du procès le 26 mars, son droit au silence au tribunal correctionnel.
Le polémiste, condamné à de multiples reprises pour ses sorties antisémites, s'était seulement dit "innocent" de ce qui lui est reproché.
Mais pour les deux procureurs à l'audience, "les faits sont têtus" et "la culpabilité des prévenus", Dieudonné, sa compagne et leur société des Productions de la plume, "ne fait aucun doute".
Aux yeux de l'accusation, le polémiste de 53 ans "n'est pas un artiste bohème déconnecté" des chiffres, mais le gérant de fait de cette société dirigée officiellement par sa compagne, "créée pour favoriser sa dissimulation".
Entre 2009 et 2014, selon le calcul du parquet, "1,2 million d'euros ne passent pas sur les comptes bancaires" de l'humoriste, qui se disait dans le même temps ruiné et insolvable.
Dieudonné M'Bala M'Bala est notamment soupçonné d'avoir détourné à son profit des recettes en liquide de ses spectacles, non comptabilisées dans les comptes des Productions de la plume, d'avoir minoré ses déclarations d'impôts, blanchi une partie des espèces en les expédiant à l'étranger et organisé son insolvabilité.
Son théâtre parisien de La Main d'Or, dont il a depuis été expulsé, ne possédait ni caisse enregistreuse ni terminal de paiement bancaire. Soit, selon le parquet, "une organisation entièrement tournée vers l'encaissement occulte des espèces".
A son encontre, les procureurs ont demandé trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis, ainsi que 285.000 euros d'amende et l'interdiction de gérer une société pendant cinq ans.
Contre sa compagne Noémie Montagne, dirigeante de droit de la société et qui s'est également retranchée dans le silence, 18 mois avec sursis et la même interdiction de gérer ont été requis.
Et 400.000 euros d'amende ont été réclamés contre les Productions de la plume pour avoir dissimulé des recettes.
- "Pas un procès politique" -
Le fisc, partie civile, demande par ailleurs le paiement de centaines de milliers d'euros d'"impôts fraudés", qui seraient le cas échéant fixés par le tribunal administratif, et 100.000 euros en réparation du blanchiment de fraude fiscale.
Depuis 1997, Dieudonné "est quasiment en délicatesse constante avec l'administration fiscale", a rappelé l'un des procureurs, quand ses avocats rétorquent qu'il a réglé, depuis, quelque 2 millions d'euros d'impôts.
L’État comme le parquet ne reprochent toutefois aucune fraude à l'impôt sur la fortune à Dieudonné, alors qu'il était également poursuivi pour cela.
Dans leur réquisitoire, les deux représentants du parquet se sont vivement élevés contre les "provocations" et "outrances" de la défense. Celle-ci estime que l'Etat a téléguidé les poursuites à l'époque où les spectacles de Dieudonné suscitaient une virulente polémique en France fin 2013 et début 2014. Les avocats avaient notamment accusé l'administration fiscale et le parquet de "faussetés".
"Même s'il n'y a de pire sourd que celui qui ne veut entendre, il ne s'agit pas d'un procès politique", a martelé l'un des procureurs, dénonçant le "positionnement victimaire" des prévenus.
"Il n'est de pire ignorant que celui qui ne travaille pas", lui a rétorqué l'un des défenseurs, Me David de Stefano, accusant dans une longue plaidoirie le parquet de "dénaturation", d'"invention" ou de "confusion" des faits.
Selon l'avocat, les plus de 565.000 euros envoyés à des proches à l'étranger proviennent de deux dons, "déclarés et imposés", dont Dieudonné avait bénéficié. Quant aux 657.000 euros retrouvés chez lui dans des coffres, ce sont "les recettes de la société", là aussi "comptabilisées et imposées". "L'argent était conservé dans des coffre-forts parce que cet argent, on le leur volait", a-t-il insisté.
A l'issue des débats, le polémiste a dit "avoir confiance".
Jugement le 5 juillet.