La patronne de la plus grande agence de chanteurs pop du Japon a démissionné ce jeudi après avoir reconnu lors d’une conférence de presse que le défunt fondateur de la société, Johnny Kitagawa, s’était rendu coupable d’abus sexuels.
La chape de plomb se fissure enfin. La présidente de la plus grande agence de boys-band japonais a reconnu jeudi les abus sexuels commis pendant des décennies par son prédécesseur sur de jeunes recrues de la scène musicale nationale, et a annoncé en même temps sa démission.
«L'agence et moi-même personnellement reconnaissons les abus sexuels commis par Johnny Kitagawa», a déclaré lors d'une conférence de presse Julie Fujishima, nièce du pape déchu de la J-pop décédé en 2019. «Je m'excuse du fond du cœur auprès de ses victimes», a-t-elle ajouté.
Sa démission intervient une semaine après la publication des résultats d'une enquête mettant en évidence les agressions sexuelles commises par Johnny Kitagawa à l'encontre de nombreux jeunes talents depuis les années 1950. Décédé en 2019 à l'âge de 87 ans, ce dernier avait fondé en 1962 l'agence Johnny & Associates, qui règne depuis des décennies sur l'industrie nippone du spectacle et a lancé de célèbres groupes d'«idoles» comme Smap, Arashi ou Tokio.
Des abus sexuels longtemps couverts
Les médias locaux avaient déjà évoqué de son vivant des accusations d'abus et d'exploitation sexuelle de mineurs le concernant. En 1999, l'hebdomadaire Shukan Bunshun avait ainsi publié une série d'articles présentant les accusations de plusieurs jeunes hommes à son encontre. Mais Johnny Kitagawa avait obtenu des dommages-intérêts pour diffamation à la suite de ces articles, même si la décision avait été partiellement annulée en appel.
Julie Fujishima a nommé pour la remplacer le chanteur et acteur Noriyuki Higashiyama. «Il faudra énormément de temps avant que nous puissions retrouver la confiance des gens», a déclaré le vétéran de l’agence, ajoutant : «Je consacrerai le reste de ma vie à la résolution de ce problème».
Il s'est toutefois dit réticent à l'idée de changer le nom de l'agence, dont les talents qu'elle produit sont appelés les «Johnny's». Julie Fujishima a expliqué qu'elle resterait au sein de l'équipe de direction, afin d'aider à «compenser» les victimes.
«Plusieurs centaines» de victimes
Lors d'une conférence de presse distincte jeudi, des victimes présumées de Johnny Kitagawa ont réagi positivement aux annonces de l'agence, tout en estimant que cela ne suffisait pas. «Les cicatrices laissées sur mon cœur ne disparaîtront jamais complètement», a déclaré Yukihiro Oshima, qui avait été un «Johnny's» dans la fin des années 1990. Junya Hiramoto, un autre ancien membre d'un boys band de l'agence, a dit souhaiter que «l'entreprise fasse tout ce qui est en son pouvoir pour sauver» les victimes.
La controverse sur Johnny Kitagawa avait ressurgi après la diffusion au début de l'année d'un documentaire de la chaîne de télévision publique britannique BBC, et les accusations à visage découvert de l'une de ses victimes présumées. Julie Fujishima avait alors présenté des excuses mais nié avoir eu connaissance des agissements de son prédécesseur.
Une commission chargée par Johnny & Associates d'enquêter sur le sujet a estimé qu'au moins «plusieurs centaines» de jeunes hommes avaient été agressés sexuellement par Johnny Kitagawa.
Son rapport d'enquête publié fin août, basé sur des entretiens avec 41 victimes présumées et des cadres de l'agence, contient des récits explicites d'abus sexuels.
Il recommandait la démission de Julie Fujishima, qui a succédé à Kitagawa en 2019, arguant qu'elle était au courant depuis longtemps des accusations mais qu'elle avait décidé de fermer les yeux.
Selon les auteurs du rapport, cette attitude de la présidente avait favorisé un état d'esprit donnant aux responsables de l'agence l'impression qu'ils pouvaient «très bien gérer les abus sexuels de Kitagawa comme si ce n'était jamais arrivé». «Le remplacement de l'actuelle présidente est indispensable pour que l'agence se réforme et redémarre à zéro», avait estimé le panel.