Servi par un casting cinq étoiles, «Oppenheimer» de Christopher Nolan a raflé sept prix, dont celui du meilleur film, à la 96e cérémonie des Oscars. Une œuvre dense et réussie, diffusée dès ce vendredi 22 mars sur MyCanal.
Après avoir amassé plus d'un milliard de dollars de recettes dans le monde, «Oppenheimer» a atomisé tous ses concurrents lors de la 96e cérémonie des Oscars, qui se déroulait ce dimanche 10 mars, à Los Angeles. Terrassant «Barbie» de Greta Gerwig, «Pauvres créatures» de Yorgos Lanthimos, ou encore «Killers of the flower moon» de Martin Scorsese, le douzième long-métrage de Christopher Nolan a remporté pas moins de sept statuettes, dont les plus prestigieuses du meilleur film et de la meilleure réalisation.
Les prix du meilleur acteur pour Cillian Murphy, du meilleur acteur dans un second rôle pour Robert Downey Jr., de la meilleure musique originale pour le Suédois Ludwig Göransson, du meilleur montage et de la meilleure photo viennent compléter le palmarès.
#Oppenheimer a raflé 7 Oscars lors de cette 96ème Cérémonie.
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«J'ai rêvé de ce moment depuis si longtemps. Mais il semblait si peu probable que cela se produise un jour (...). La raison pour laquelle ce film a été ce qu'il a été, c'est Chris Nolan. Il est unique. Il est brillant», a déclaré Emma Thomas, son épouse et productrice du film, félicitant le cinéaste britannico-américain couronné pour la première fois.
Après le déconcertant «Tenet», qui avait laissé nombre de ses fans sur le bord de la route, lassés de ne pas toujours comprendre les dédales temporels suggérés dans le film, Christopher Nolan s’est aventuré vers un tout autre registre, en signant ce thriller historique - et politique - sur le père de la bombe atomique, Robert Oppenheimer (1904-1967).
des temporalités entremêlées
Pendant trois heures sans aucun temps mort, celui à qui l’on doit «Inception», «Interstellar» ou «Dunkerque» relève haut la main le défi de mettre en scène la biographie «American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer», de Kai Bird et Martin J. Sherwin, récompensée du prix Pulitzer en 2006. Une mission réussie grâce au jeu nuancé du remarquable Cillian Murphy («Peaky Blinders»), qui se glisse dans la peau du scientifique américain, cet homme brillant mais ambivalent qui s’est retrouvé dépassé (et manipulé ?) par l’utilisation que les grands de ce monde ont fait de son invention. Un «Prométhée» face à l'administration.
C’est le parti-pris narratif choisi par Christopher Nolan, qui dresse le portrait de ce physicien de génie en se concentrant essentiellement sur le «projet Manhattan» qu’il a dirigé, pour tenter de mettre fin à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi et surtout sur les conséquences de sa création en pleine guerre froide dans une Amérique en proie au maccarthysme. En s’appuyant sur la musique puissante et omniprésente de Ludwig Göransson qui fait monter la tension entre deux visions, radiations et pluies de cendres, le cinéaste entremêle différentes époques et autres temporalités (sa marque de fabrique), jouant avec les ellipses et les codes du simple biopic. Il ne s'attarde pas sur l'enfance notamment, balaye certains événements familiaux peut-être un peu trop rapidement, préférant s'intéresser à la psyché du héros au détriment de personnages secondaires.
Un thriller instrospectif en Imax au réalisme bluffant
Au cœur de ce récit haletant et tortueux, les recherches de Robert Oppenheimer et d’illustres chercheurs et militaires, lesquels ont tous œuvré en secret, dans le désert de Los Alamos au Nouveau-Mexique, pour mettre au point la bombe A. Une véritable course contre la montre pour devancer les nazis. Si cette arme de destruction fut, selon certains, une véritable prouesse qui a fait entrer le monde dans une nouvelle ère, elle a aussi causé la mort de plus de 200.000 personnes lors des attaques nucléaires menées à Hiroshima et Nagasaki, au Japon, respectivement les 6 et 9 août 1945. Robert Oppenheimer n'en sortira pas indemne, devenant, selon lui, «la Mort, le destructeur des mondes».
Passé de héros à paria, avant d’être réhabilité par John Fitzgerald Kennedy, il a milité par la suite pour le contrôle international de l’énergie nucléaire et s’est opposé au développement de la bombe H. Un refus qui s’est accompagné de lourdes accusations à son encontre, Robert Oppenheimer étant taxé de traître et de communiste. A la manière d'un film de procès, Christopher Nolan s'attarde longuement sur ces scènes d’audition face à un comité au cours desquelles l’éthique de la science est questionnée. Le passage de la couleur à l’IMAX en noir et blanc met en lumière le point de vue du protagoniste et celui de ses adversaires. Une mise en scène «nolanienne» travaillée et ultra sophistiquée qui prend parfois le pas sur l'émotion, mais parvient à nous embarquer vers un final glaçant.
une critique acerbe de l'amérique et du pouvoir
Une immersion totale que l’on doit également aux trucages à l’ancienne, sans effets spéciaux numériques, notamment pour recréer Trinity, le nom de code donné aux essais atomiques réalisés par l’armée américaine en juillet 1945. Cette volonté de coller au plus près de la réalité rend compte du danger de ces millions d’atomes en mouvement. Le long-métrage se veut une exploration de la folie humaine et une œuvre introspective dont on ne sort pas totalement indemnes.
Face à Cillian Murphy, qui campe un «Oppie» que l'on peine à cerner, Emily Blunt en Kitty Oppenheimer, Matt Damon dans la peau du général Leslie Groves chargé de superviser la fabrication de la bombe, ou encore Florence Pugh en Jean Tatlock, la scientifique et maîtresse du physicien, livrent des performances détonantes. Quant à Robert Downey Jr. qui délaisse son costume d’Iron Man pour celui de Lewis Strauss, il obtient là l’un des plus beaux rôles de sa carrière et mérite amplement l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle.
«Oppenheimer» souligne des problématiques, des craintes et des dilemmes moraux qui résonnent avec les enjeux contemporains, alors que la menace nucléaire a ressurgi dans la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine. Lors d'une rencontre l'an dernier avec la presse à Paris, Christopher Nolan avait par ailleurs tenu à rappeler que l’histoire de Robert Oppenheimer est «une mise en garde» à l’humanité.
«L'émergence de nouvelles technologies est quelque chose qui arrive sans cesse dans nos vies et assez souvent avec la peur de ce à quoi elles pourraient conduire. (…) La bombe atomique, c'est l'expression ultime de la science, une chose par essence positive, avec des conséquences négatives ultimes», avait-il confié à l'époque.