Après le succès de «Starmania», le metteur en scène et prodige du théâtre français Thomas Jolly fait revivre «Roméo et Juliette» jusqu’au 15 juillet, à l’Opéra Bastille, à Paris. Rencontre avec un hyperactif rêveur qui va orchestrer les cérémonies des JO 2024.
A 41 ans, Thomas Jolly semble déjà avoir vécu mille et une vies. Avec son allure d’éternel adolescent, il ne cesse d’enchaîner les projets artistiques, avec pour seul objectif de proposer un théâtre populaire et accessible. Après avoir séduit le public en signant une version modernisée de l’opéra-rock «Starmania», le metteur en scène s’est emparé du drame shakespearien «Roméo et Juliette» de Charles Gounod, une œuvre lyrique datant de 1867 qui n'avait plus été au répertoire de l’Opéra de Paris depuis 1985, avant d'être de nouveau présentée à Bastille. Et cela jusqu'au 15 juillet prochain.
Portée par les prestations magistrales, notamment, des chanteurs Elsa Dreisig et Benjamin Bernheim, et servie par une scénographie onirique, cette production - la deuxième pour Thomas Jolly dans cette prestigieuse institution - a vu le jour pendant le confinement. L’homme qui déteste l’ennui, s’est amusé avec son compagnon à rejouer la célèbre scène du balcon alors qu’il était isolé dans son appartement, enthousiasmant au passage ses voisins, les badauds... et Alexandre Neef, directeur de l'Opéra Bastille.
Trois ans plus tard, et avant de se lancer dans les répétitions de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 qu'il a l’honneur de diriger, Thomas Jolly s’est confié à CNEWS.
Depuis le 17 juin dernier, «Roméo et Juliette» dont vous assurez la mise en scène, triomphe chaque soir sur la scène de l’Opéra Bastille, à Paris. Que ressentez-vous face à un tel accueil ?
L’accueil du public a été très beau et enthousiaste dès la première. Ce succès à la fois critique et public, est une double satisfaction pour moi. Je reçois beaucoup de messages de gens qui me disent venir pour la première fois à l’opéra. Je suis donc à mon juste endroit en proposant une expérience de spectacle au public le plus large possible, et en faisant tomber quelques aprioris. Si cette première découverte est heureuse, alors ils auront certainement envie d’aller voir d’autres productions. Et cela me réjouit.
S’attaquer à l’histoire mondialement connue des amants de Vérone n’était-il pas un pari risqué ?
On ne peut être qu’angoissé face à un tel joyau littéraire et musical. Cette histoire jouit d’une incroyable popularité, et a été maintes fois réadaptée, de «West Side Story» à «Titanic».
On compare souvent mon travail aux œuvres de Tim Burton.
Plutôt que de travailler sur une relecture de l’œuvre, j’ai préféré proposer une juste lecture, un écrin propice à la réception de cet opéra. Et je me suis concentré sur l’émotion.
Pour ce faire, vous avez misé sur la lumière, point d’orgue de la scénographie…
Mon outil premier d’écriture reste en effet la lumière. Je travaille depuis longtemps avec Antoine Travert qui est, selon moi, un peintre et un plasticien de la lumière. J’aime la question du clair-obscur, et la figure de l’oxymore est inhérente à toute cette pièce de William Shakespeare. La lumière allait de pair avec le décor unique de Bruno de Lavenère, cette copie réduite du grand escalier du Palais Garnier dotée de petits balcons et qui ne cesse d'évoluer.
Pour la scène du bal, vous avez fait appel à Josepha Madoki, spécialiste du waacking, cette danse créée aux Etats-Unis par la communauté LGBT dans les années 1970…
J’ai rencontré Josepha Madoki (aussi connue sous le nom de Princess Madoki, ndlr) sur «Starmania». Elle était l’assistante du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui.
La technologie ne doit pas masquer, ni prendre la place de l'artisanat.
Cette danse méconnue en France véhicule des valeurs tellement en lien avec la volonté d’existence de vie et de jeunesse de Roméo et Juliette qu’assez naturellement, j’ai demandé à Josepha si elle souhaitait «marier» le waacking à la musique de Charles Gounod. Je suis très heureux de cette collaboration.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
On compare souvent mon travail aux œuvres du réalisateur Tim Burton. En réalité, Tim Burton utilise des codes très théâtraux au cinéma, ce qui nous fait donc un point commun (rires). Il n’y a pas eu de références précises, si ce n’est l’extravagance et la profusion que l’on peut trouver chez Federico Fellini.
Vous défendez l’artisanat, tout en présentant des productions visuellement spectaculaires. Ce n’est donc pas incompatible, selon vous ?
La technologie - comme les drones par exemple - ne doit pas masquer, ni prendre la place de l’artisanat qui regroupe des métiers absolument cruciaux. Mon problème est peut-être de tout aimer. Je mets le nez dans tous les corps de métier. Dans «Roméo et Juliette», c’est grâce à la lumière, aux costumes, au maquillage ou aux machineries, que ce décor imposant est renouvelé dans l’image pendant trois heures. Je suis plutôt un metteur en scène qui résiste aux technologies. Je préfère la poésie de l’artisanat, mais elle n'est pas antinomique avec le spectaculaire.
Le 26 juillet 2024, tous les yeux seront rivés sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, dont vous en êtes le directeur artistique. Où en est-on de ce projet titanesque ?
C’est la première fois dans l’histoire des JO que la cérémonie ne se passera pas dans un stade. Les délégations seront présentées dans un contexte artistique, et pas seulement protocolaire (quelque 115 bateaux avec les sportifs sur 6 km entre le pont d’Austerlitz et le pont d'Iéna, ndlr). Cela va révolutionner la structure même de l’événement. Le travail est très intense et d’une richesse absolue. Comme dans une enquête, nous nous plongeons dans l’histoire d’une ville, mais aussi d’un pays, et évoluons dans un décor parisien merveilleux.
Après plusieurs phases de présentation du projet aux différents acteurs politiques comme Anne Hidalgo, maire de Paris, et plusieurs ministres, nous sommes maintenant dans une phase de rencontre pour ajuster. Le spectacle est conçu, mais il doit s’éprouver au réel et subir les transformations qui vont être inhérentes aux découvertes que nous faisons chaque jour. Par exemple, le courant sur la Seine qui n’est pas le même selon les endroits choisis, la hauteur des ponts, la fragilité ou non d’un quai… Finalement, ces contraintes sont assez similaires à celles que l’on rencontre à l’opéra.
A quoi rêve désormais Thomas Jolly ?
J’ai eu la chance de recevoir des cadeaux faits par la vie et le hasard. Je suis avant tout animé par cette envie de récit. J’adore raconter des histoires, et il existe mille façons de les mettre en scène. J’aimerais m’essayer un jour au cinéma, en tant qu’acteur ou réalisateur. J’adorerais aussi être directeur artistique d’un jeu vidéo, domaine qui s’est hissé maintenant au rang d’art. La série me passionne également. Mais je resterai fidèle au théâtre que je ne quitterai jamais. J’ai encore plein de pièces à monter. Reste à savoir si j’aurai assez d’une vie pour tout concrétiser.
«Roméo et Juliette», jusqu’au 15 juillet, à l’Opéra Bastille (Paris, 12e).