Dans «Je verrai toujours vos visages» qui sort au cinéma ce mercredi, Jeanne Herry se penche sur un sujet méconnu et délicat : la justice restaurative. Un film sublime sur l’intime, porté par un casting brillant qui prend parfois des airs de documentaire.
Il y cinq ans déjà, Jeanne Herry signait «Pupille», un film étonnant, rare et d’une profonde émotion, qui reste l’un des plus beaux longs-métrages français de la dernière décennie. Autant dire que la barre demeurait particulièrement haute pour sa nouvelle réalisation, «Je verrai toujours vos visages», en salles ce mercredi 29 mars.
Mais dès les premières minutes de ce drame, on constate avec bonheur que la cinéaste, fille de Miou-Miou et de Julien Clerc, réussit haut la main à préserver sa patte exceptionnelle qui mêle une maîtrise imparable à des sujets sociétaux «coups de poings», servis par une direction d’acteurs très exigeante.
La libération de la parole comme thérapie
De même que le sujet de «Pupille» n’était pas des plus connus ni forcément populaires (l’adoption, les familles d’accueil, la naissance sous X), «Je verrai toujours vos visages» aborde la thématique de la justice restaurative. Cela ne vous dit pas grand-chose ? Nous, non plus. Et c’est le miracle de cette œuvre que de nous entraîner avec une force narrative remarquable (et une mise en scène millimétrée) au cœur de cette méthode méconnue, imaginée il y a une dizaine d’années et qui consiste, sur la base du volontariat bien sûr, à faire dialoguer victimes et auteurs d'infractions. La plupart du temps en cercle carcéral et au rythme de rencontres suivies et encadrées par des intermédiaires professionnels.
L’idée étant de favoriser une démarche psychologique et quasi-thérapeutique en laissant une sourde colère s’exprimer pour les uns, et faire prendre conscience aux autres des dommages humains collatéraux - parfois irréversibles - qu’ils ont pu causer. Une forme de thérapie par la libération de la parole, en somme.
Ici, nous suivons alternativement deux histoires différentes : une jeune femme abusée, enfant, par son propre frère (Adèle Exarchopoulos, toujours incroyable) et le ballet fascinant des échanges entre quelques victimes et prisonniers, dont les méfaits sont similaires à ce que lesdites victimes ont subies par d’autres agresseurs.
Une mise en scène sans fausse note
Brillant de bout en bout, sans baisse de régime, ni fausse note ou digression superflue, et orchestré au rythme de monologues déclamés avec un naturel, une spontanéité et une rage à faire frémir le plus aguerri des psychanalystes, «Je verrai toujours vos visages» est sublimé par un casting hors-pair qui fait preuve d’une générosité et d’une confiance absolue en son sujet comme en sa réalisatrice. Une vraie gageure. Leïla Bekhti, Miou-Miou, Gilles Lellouche, Dali Benssalah, Fred Testot, Birane Ba, Élodie Bouchez, Suliane Brahim et Jean-Pierre Darroussin sont tous bouleversants et totalement habités.
Jeanne Herry filme des moments forts, anxiogènes parfois, drôles aussi, et porte un regard toujours humain, presque fraternel et surtout constructif. Elle n'est jamais dans le jugement. Au contraire, la réalisatrice fait preuve d'un respect total du ressenti de chacune des victimes. Et ça fait un bien fou. Vous en connaissez beaucoup, vous, des personnes éprouvées qui osent affirmer qu’«avoir toujours la haine» n’est pas forcément destructeur ?