Il y a quarante ans, le 3 mars 1983, disparaissait à l'âge de 75 ans le père de Tintin, Hergé. Voici tout ce qu'il faut savoir sur le célèbre dessinateur et scénariste belge.
Grand maître de la BD, Hergé, de son vrai nom Georges Remi, a donné vie aux héros les plus populaires du 9eme art et, par la même occasion, a changé durablement le visage de ce genre culturel désormais incontournable.
Tintin, le capitaine Haddock, les deux garnements Quick et Flupke, Totor, Jo, Zette et Jocko, protagonistes des aventures de la famille Legrand, et quelques autres séries sortiront de l’imagination d’Hergé. Mais l’histoire du dessinateur est liée de manière indissociable à celle du reporter.
En premier lieu, le succès d’Hergé est celui de Tintin. Ses aventures ont été éditées à plus de 200 millions d’exemplaires, et traduites en plus de quarante langues dont le patois, le picard et le savoyard. Au fil des années, les vies du héros et de son créateur se sont mêlées, allant parfois jusqu’à se confondre.
Tintin et Hergé, inséparables
Hergé effectue ses études secondaires dans un institut catholique d’Ixelles, au sud-est de Bruxelles. C’est à cette époque qu’il entre chez les scouts et devient «Renard curieux». Il publie ses premiers dessins dans des périodiques scouts. Tintin porte les traces de cette période. Eternel combattant du bien contre le mal, apôtre de la bonne action et personnage coincé entre l’adolescence et l’âge adulte, il est l’archétype du parfait boy-scout.
En 1925, Hergé est engagé au Vingtième siècle, un journal catholique politiquement marqué à droite. En 1929, il est nommé rédacteur en chef du supplément jeunesse : Le Petit Vingtième. C’est dans les pages de ce périodique que Tintin voit le jour, le 10 janvier 1929.
Dans les deux premiers volumes de ses aventures, Hergé emmène Tintin en URSS, puis au Congo. A partir du troisième volet, Tintin en Amérique, Hergé commence à se documenter sur les univers que Tintin explore. Les trois premiers opus des aventures de Tintin et Milou se font pourtant les projections des positions anticommunistes, coloniales et antiaméricaines véhiculées par la droite catholique de son époque.
L’arrivée de Tchang
Le véritable tournant intervient au moment du Lotus bleu (1935). Hergé est mis en relation avec Tchang Tchong-jen, étudiant chinois à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Au contact de Tchang, Hergé se confronte à la réalité chinoise. Au début des années 1930, le Japon envahit la Mandchourie, suite à un attentat contre une voie ferrée japonaise dans la province chinoise. L’incident, probablement organisé par le Japon pour avoir un prétexte à l’invasion, est relaté dans le Lotus bleu.
Dans cet album, le personnage de Tchang fait son apparition. Il deviendra par la suite un ami de Tintin, que ce dernier sauvera dans Tintin au Tibet. Dans la vie, Hergé et Tchang Tchong-jen deviendront de proches amis. Cet épisode est symbolique de l’influence de Tintin sur Hergé. Car ce sont les critiques nées après les premiers albums qui sont à l’origine de la remise en question d’Hergé.
Si l’univers de Tintin s’en trouve bouleversé, la relation du dessinateur au monde et à l’autre ne l’est pas moins. Le titre de l’ouvrage de Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, est éclairant à ce sujet. Car les albums qui suivent sont souvent l’occasion pour Hergé de traiter un sujet d’actualité politique.
Dans L’île noire, le sujet est l’impression de faux billets par l’Allemagne pour déstabiliser les économies voisines. Le sceptre d’Ottokar est le récit d’un Anschluss (invasion en allemand) manqué.
Périodes troubles
Le lien entre l’homme et l’œuvre est présent aussi dans les périodes troubles de la vie d’Hergé. Pendant la guerre, il travaille pour Le Soir, quotidien contrôlé par l’occupant allemand. Or, dans L’étoile mystérieuse, paru en 1942, Tintin prend part à une expédition emmenée par des scientifiques issus essentiellement de pays neutres ou appartenant à l’Axe. Ses adversaires, dans les premières éditions, battent pavillon américain. Ils sont financés par un certain Bohlwinkel qui, affublé d’un nez crochu et d’épaisses lèvres, prend les traits que les caricatures antisémites de l’époque confèrent aux Juifs.
Plus tard, à la fin des années 1950, Hergé traverse une grave crise personnelle. Il divorce de sa première femme en 1960. Il est ensuite en proie à la dépression, et des cauchemars où tout est blanc reviennent fréquemment dans ses nuits.
L’univers de Tintin au Tibet, paru en 1960, offre un parallèle saisissant avec l’état d’esprit d’Hergé à ce moment de sa vie. C’est sans doute l’album le plus sombre de toute la série. Fait inhabituel, Tintin est à plusieurs reprises au bord du découragement, et la blancheur des décors de l’Himalaya est à mettre en rapport avec celle des rêves de son créateur. En outre, le scénario de cet opus est une longue et difficile quête, celle d’Hergé vers un bonheur perdu.
Un univers immuable mais surprenant
Le récit d’Hergé est toujours limpide : c’est la «ligne claire», l’apport majeur d’Hergé à la bande dessinée. Le dessin est précis, documenté et simple, les contours systématiques et les couleurs en aplat.
Cet ensemble donne une incroyable lisibilité à l’œuvre, et permet au lecteur de trouver immédiatement ses repères. Ce formalisme limpide permet de trouver ses repères malgré des décors toujours changeants.
Au fil de ses aventures, Tintin explore les fonds sous-marins, l’espace, l’Afrique, les Andes, l’Himalaya, côtoie les Indiens et les extraterrestres. Mais le succès du jeune héros ne tient pas uniquement dans les scénarios irréprochables de ses aventures.
Outre Milou, présent dès les aventures soviétiques de Tintin, de nombreux personnages ont fait leur apparition au fil des épisodes. Archibald Haddock, capitaine au long cours et alcoolique notoire, intervient pour la première fois dans Le crabe aux pinces d’or. Son caractère entier et ses célèbres insultes, qui ont fait l’objet de plusieurs ouvrages, apportent une première touche pittoresque aux albums de Tintin. Par la suite, d’autres viendront renforcer le côté humoristique qui faisait défaut à la série à ses débuts.
Le professeur Tryphon Tournesol, scientifique génial, vient offrir ses services dans Le secret de la Licorne. Sa surdité sera la cause de nombreux quiproquos. La stupidité des agents Dupond et Dupont (reconnaissables à leur moustache), le sans-gêne de Séraphin Lampion, Bianca Castafiore et quelques autres viennent compléter un univers toujours familier, rendu vivant et drôle par ces personnages parfois grotesques.
Comme Tintin est un héros qui passe son existence à lutter contre le mal, son chemin croise celui d’adversaires récurrents, de Rastapopoulos au docteur Müller.
Le général de Gaulle affirmait : «au fond, je n’ai qu’un seul rival international, c’est Tintin.» Quarante ans ans après la mort de son créateur, la popularité du reporter du Petit vingtième est un véritable phénomène.