Dans «Pour la France» en salles ce mercredi, le réalisateur Rachid Hami revient sur le destin tragique de son frère, mort noyé lors d'un «bahutage» à Saint-Cyr. Un film intime et bouleversant porté par l'acteur Karim Leklou.
C’est une histoire tragique et personnelle que le réalisateur Rachid Hami a souhaité porter à l’écran dans «Pour la France», son deuxième long-métrage - après «La mélodie» - qui sortira ce mercredi 8 février au cinéma. Cette histoire, c’est celle de son jeune frère, Jallal, élève-officier de l’école militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, mort à seulement 24 ans dans le cadre d’un «bahutage», une soirée dite «de transmission des valeurs et des traditions» de la prestigieuse institution.
Dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012, ce sous-lieutenant, qui a été renommé Aïssa dans le film, participait, comme d’autres étudiants de première année, à la reconstitution du débarquement de Provence du 15 août 1944. Mais le jeune diplômé de Sciences-Po Paris, né en Algérie et qui rêvait de devenir officier de l’armée française, s'est noyé en tentant de traverser un étang de 50 mètres dans une eau à 9°C. Une épreuve physique proposée «sur la base du volontariat» et encadrée par des élèves de deuxième année. Le corps sans vie de Jallal Hami avait été retrouvé par les secours, quelques heures plus tard sur les berges.
un long combat pour la dignité
Sa famille et ses proches ont attendu huit ans avant le procès qui a mis en cause sept militaires et anciens soldats de l’école de Saint-Cyr. Le 14 janvier 2021, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné trois d’entre eux - deux élèves et un responsable - à des peines de six à huit mois de prison avec sursis pour «homicide involontaire». Les quatre autres accusés ont été relaxés.
«Ce jugement raconte l’histoire de notre pays. Jallal a été trahi par ses camarades et la justice a décidé de les protéger pour qu’ils ne soient pas condamnés. Leur peine sont des peines avec sursis et elles ne seront pas inscrites à leur casier judiciaire. Ça ne va rien changer pour eux. La mort de mon frère est indélébile, gravée sur un morceau de calcaire au père Lachaise», lança Rachid Hami à l’issue du procès.
Plus de dix ans après les faits, Rachid Hami revient sur cet épisode dans «Pour la France» et en fait le point de départ de ce drame bouleversant. Comme alter-ego, il a choisi le comédien Karim Leklou («Bac Nord», «Hippocrate»). Ce dernier incarne donc Ismaël, l’aîné de la fratrie qui a fui la guerre civile en Algérie avec sa mère et ses deux frères, délaissant aussi un père violent et patriote pour trouver refuge en Seine-Saint-Denis au début des années 1990.
«le travail du cinéma n'est pas celui de la justice»
A la mort de son frère cadet joué par Shaïn Boumedine, Ismaël en marge de la société, va pourtant se battre auprès de sa mère pour que des funérailles dignes de ce nom soient organisées. Que faire de la dépouille de ce jeune homme brillant tombé pour la France sans avoir combattu ? Pourquoi serait-il enterré dans le carré musulman de Bobigny plutôt qu'au Père-Lachaise sans avoir de cérémonie officielle ?
Loin d’être un règlement de comptes, comme insiste Rachid Hami, «Pour la France» est avant tout le récit puissant de deux frères qui se déroule sur trois périodes et trois pays différents. On les découvre, enfants, en Algérie, avant de les suivre en France, puis à Taïwan, où la complicité entre le fils surdoué (et bientôt défunt) et le mal-aimé renaîtra le temps d’un karaoké improvisé à l’arrière d’un taxi. «Ce n’est pas une histoire de vengeance ou de rédemption, et cela ne relève pas de l’enquête criminelle. Le travail du cinéma n’est pas celui de la justice. Ce film n’est pas une enquête sur la mort, mais sur la vie», explique le cinéaste.
Remarquablement interprété (Lubna Azabal incroyable en mère digne et courageuse), ce drame nous plonge avec pudeur dans l’intimité de deux êtres «que la vie a séparés», en abordant la question épineuse de l’assimilation et de l'intégration. «Faut-il payer de sa vie le rêve d’appartenir à un pays ? 'Pour la France' ne propose pas de réponse, si ce n’est sous la forme d’une question, que chacun sera libre de faire vivre à sa manière», conclut Rachid Hami.