Des héritiers d'un couple Juif allemand ayant fuit le régime nazi en 1938 ont porté plainte contre un musée de New-York pour qu'on leur restitue un Picasso, évalué entre 100 et 200 millions d'euros.
Une demande légitime ? C'est en 1938 que le couple Juif allemand Karl et Rosi Adler ont fuit leur pays, grâce à la vente d'un tableau de Pablo Picasso, «La Repasseuse». Aujourd'hui, leurs héritiers ont déposé plainte au civil auprès de la cour suprême de l'Etat de New-York contre le musée d'art moderne Solomon R.Guggenheim, qui expose le tableau, estimé à plusieurs centaines de millions d'euros, depuis 1978.
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— Guggenheim Museum (@Guggenheim) January 30, 2015
Le groupe de plaignants - des héritiers aux Etats-Unis et en Argentine - s'estiment les propriétaires légitimes de l'oeuvre. Dans leur plainte remontant au 20 janvier dernier, ils ont invoqués une vente «forcée» en octobre 1938 par les Adler, qui auraient agi sous contrainte.
Dans un communiqué, le musée Guggenheim a contesté une procédure «sans fondement», laissant pressentir un futur procès.
«la repasseuse» achetée en 1916
L'histoire extraordinaire de cette oeuvre, peinte en 1904 par le célèbre peintre espagnol, commence en 1916 quand Karl Adler l'achète à un galeriste allemand juif de Munich, Heinrich Thannhauser. Adler, patron d'une usine de confection de cuir, et sa femme Rosi, jouissent d'une «vie prospère» à Baden-Baden, au sud-ouest de l'Allemagne, juste en face de Strasbourg.
L'arrivée de Hitler et des nazis au pouvoir à Berlin sonne le début des terribles persécutions contre les Juifs en Allemagne, et le gel ou la confiscation de leurs biens et patrimoines.
Les Adler se résolvent en juin 1938 à fuir leur pays pour s'installer tour à tour aux Pays-Bas, en France et en Suisse avant de chercher un visa pour l'Argentine.
Mais pour obtenir leur sésame, les Adler, qui ont déjà quitté l'Allemagne depuis quelques semaines, vendent en octobre 1938 «La Repasseuse» au fils de Thannhauser, Justin, qui, Juif lui aussi, vient de se réfugier à Paris.
le tableau vendu pour 1.552 dollars en 1938
La vente est conclue pour 1.552 dollars de l'époque - soit environ 32.000 dollars d'aujourd'hui - neuf fois moins que les 14.000 dollars qu'Adler espérait en tirer au début des années 1930.
C'est l'argument central de la plainte qui avance que l'oeuvre, évaluée à ce jour entre 100 et 200 millions de dollars, a été cédée sous la contrainte.
«Thannhauser était parfaitement conscient de la détresse de la famille Adler. S'ils n'avaient pas été persécutés par les nazis, les Adler n'auraient jamais vendu la toile à un tel prix», selon les plaignants, qui regroupent des personnes physiques et des organisations juives américaines qui s'appuient sur une loi de 2016 encadrant la restitution d'oeuvres d'art aux victimes de l'Holocauste.
Les décennies s'écoulent et en 1976, à la mort de Justin Thannhauser, sa collection est donnée au musée Guggenheim.
Pour l'établissement, la plainte «évite étonnamment de reconnaître» que le musée avait contacté un fils Adler avant de prendre possession de «La Repasseuse» dans les années 1970 : il «n'a jamais exprimé la moindre réserve quant à l'oeuvre et sa vente à Justin Thannhauser», en 1938.
Cela fait maintenant une dizaine d'années que les héritiers cherchent à remettre la main sur le Picasso, mais le musée assure qu'il est le «propriétaire légale» de «La Repasseuse».