Avec «Les Survivants», Guillaume Renusson réalise une oeuvre entre drame social et western contemporain, à travers le récit d'une femme afghane qui tente la traversée des Alpes, de l'Italie à la France. Il détaille, pour CNEWS, les ambitions humaines derrière ce premier long-métrage.
Dans «Les Survivants», Samuel vient de perdre son épouse dans un accident. Parti en montagne pour s'exiler, il tombe nez-à-nez avec Chehreh, une femme afghane qui tente de traverser les Alpes, entre l'Italie et la France. Les deux êtres, traqués par un groupe d'individus à la frontière, vont devoir s'entraider pour survivre.
Pour réussir son pari de film social traitant de thématiques humaines et migratoires, Guillaume Renusson utilise les codes du cinéma de genre, entre western et survival, pour aborder ces sujets très ancrés dans les problématiques de notre société. Nous l'avons rencontré quelques semaines avant la sortie du film, prévue ce mercredi 4 janvier, pour comprendre ses intentions derrière la caméra.
Parmi toutes les informations que l’on trouve sur vous, on constate que vous venez de la Sarthe, vous êtes donc très loin du lieu d’action du film, situé dans les Alpes.
Il y a une petite diagonale entre les deux. C’est la continuité du parcours que j’ai eu quand j’étais étudiant à Rennes, je faisais partie d’une association où l’idée était de participer à l’accueil de familles qui venaient d’arriver sur le territoire français. J’ai travaillé avec l’une d’entre elles, administrativement et scolairement pour l’aider à s’installer en France. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai fait des courts-métrages avec des personnes à la marge, avec des exilés, qui se racontaient par la fiction. J’ai pu constater deux choses qui m’ont marqué. D’abord, l’exil est un deuil.
L'exil est un deuil, comme lorsqu'on perd un être cher.
Les mécaniques qui s’appliquent lorsqu’on perd un être cher, on peut les réattribuer à ce parcours de déracinement à un pays. Aussi, il y a le quotidien de personnes sans cesse traquées, qui doivent se cacher, qui sont toujours en mouvement.
En règle général, les premiers films se veulent plus confidentiels, tandis que le vôtre a une grande ampleur en filmant des paysages de montagne et des plans-séquences tout en tension.
Il est ample via ses paysages et le récit qu’on en a fait. C’est aussi un film très efficace, qui se réduit à deux personnages qui se font confiance tout en étant traqués par trois autres, pour raconter que dans l’hostilité de la nature, il y a aussi celle des hommes. Moi ce qui m’a plu, c’est le côté défi. Quand je rêve de cinéma, j'ai cette image de Peter Jackson sur le tournage du «Seigneur des Anneaux» sur un escabot, haranguant 500 techniciens et leur disant «On va le faire ce putain de film !», et tout le monde qui le rejoint, dans un esprit collectif fou. Moi, quand j’étais à 6h du matin, qu’il faisait -30°C et qu’il fallait emmener une quarantaine de personnes, j’avais l’impression que c’était ça aussi la folie et la sève de ce métier. Il y a un aspect artistique, mais aussi très concret sur le fait d’emmener une équipe pour raconter un sujet qui se déroulait vraiment à 40-50 kilomètres de là où on tournait.
Cela se caractérise aussi la présence de deux grands comédiens, Zar Amir Ebrahimi et Denis Ménochet.
Denis est un comédien complètement fou et dingue, un acteur de l'état qui met du temps à sentir les scènes, qui vit le film et participe à l’écriture du personnage à 50%. Il y a eu ce moment très fort où deux-trois semaines avant le tournage, il m’a envoyé un document de 10 pages sur la vie de Samuel, son personnage. C’est un chemin de création très intense. C’est un chemin différent de celui de Zar, qui est arrivée au casting en disant «Chehreh, c’est moi», et ça m’avait touché car c'est une réalité. Elle a fui l’Iran en 2008 et ne pourra jamais y retourner. Quand elle est arrivée en France, alors que c’était une star en Iran, elle a du reconstruire sa carrière pour faire ce casting avec moi, et puis faire «Les Nuits de Mashhad», où elle a gagné le prix d’interprétation à Cannes cette année.
Ce chemin de résilience dont je parle dans «Les Survivants», elle l’incarne profondément et ce qui est fou, c'est qu'elle a mis ça dans le film. À des moments, on ne savait plus si c’était Chehreh ou Zar qui parlait. Dans une scène du film, elle montre les clés de sa maison en Afghanistan, où elle n'ira plus jamais. C’est quelque chose que j’avais vu dans une exposition photo et que j’avais intégré au scénario. Quand elle a accepté le rôle, elle a dit qu’elle mettrait son porte-clé à elle, qu’elle n’a jamais jeté.
Quelles étaient les intentions derrière ce récit très ancré dans une réalité sociale toujours plus d'actualité ?
C’était un tournage où il fallait raconter via le western, via la traque, via la survie, ce qu’il se passe à la frontière et dans le monde, avec la montée du populisme, en partant de faits divers. En 2018, un homme qui avait un camp de migrants en bas de chez lui est descendu avec sa chevrotine et a tiré dans le tas. Ou alors ces jeunes de Génération Identitaire, qui, pour la fermeture des frontières, avaient loué un hélicoptère et dénoncé les exilés qui passaient. Je ne voulais pas tomber dans le regard des policiers, même si certains m’ont raconté très librement qu’ils découpaient les semelles de chaussures des exilés et les renvoyaient avec le message : «vous ne passerez pas d’ici demain» ou d’autres, qui refermaient les coffres de voiture quand ils voyaient un jeune homme de 16 ans frigorifié et étaient incapables de dire au collègue qu’il fallait l’arrêter.
Quand le dialogue entre les citoyens devient impossible, jusqu'où la violence peut-elle aller ?
Au contraire, je trouvais ça beaucoup plus glaçant que ce soit des citoyens qui fassent la traque. Car quand le dialogue entre les citoyens devient impossible, qu’il y a cette opposition, jusqu’où la violence peut-elle aller ? Montrer aussi comment, à 3.000 mètres d’altitude, certains s’accaparent la loi. Et le tout, avec des codes de fiction. Je pensais aux «Chiens de paille» (Sam Peckinpah, 1971), à des westerns comme «Le Grand Silence» (Sergio Corbucci, 1968), ces films de traque, de deuil, de western dans la neige, pour créer ma propre oeuvre.
Vous parlez beaucoup de faits, mais, en même temps, on ressent quelque chose de profondément humain dans le film. Quelle approche avez-vous eu à travers la mise en scène ?
Dans ce film, il y a des figurants qui ont vraiment fait la traversée de la frontière. C’était dingue d’avoir leur témoignage pour se dire «traverser à 2.500 mètres d’altitude en jean et en basket, qu’est-ce que c’est ?» Quand on filme deux personnages perdus dans un paysage enneigé, cela vient montrer l’aspect majestueux des montagnes, mais cela raconte aussi l’état du monde, cet homme qui a perdu son épouse, et cette femme condamnée à lui faire confiance car elle a compris qu’il n’est pas qu’un ours mal léché, c’est ça que je trouvais touchant. On s’est également posé la question sur les paysages, car, à 360°, tout se ressemble. C’est l’absurdité de ce décor qui le transforme en cimetière.
Quelque part, vous montrez également des personnages comme vous et moi ?
C’est justement le «comme vous et moi» qui m’intéressait. Dans la représentation du trio d’antagonistes, l’objectif n’était pas d’en faire des skinheads. Au contraire, ça peut être un ami, un voisin, une collègue, monsieur ou madame tout le monde. Dans les scènes en plan-séquence, il y avait l’ambition de gérer le temps réel, car c’est ce temps réel qui nous fait croire à ce que l’on voit. Déjà, il fallait croire à la marche avec ce côté proche d’eux, immersif, de ne pas craindre d’aller dans la montagne. Puis, dès la première scène (montrant des gendarmes arrêter des migrants dans un squat près de la frontière italienne, ndlr), il fallait caractériser Chehreh, qui est un personnage toujours en mouvement. Là, il y a une intervention des forces de l'ordre, c’est toujours un peu musclé. Alors, il fallait le faire en plan séquence. C’était donner, dès l'introduction, la couleur de ce que je voulais faire. Pour le reste, il y avait l’idée que les personnages vivent un tournant.
Dans cette même logique, le personnage de Chehreh évite la plupart des clichés du cinéma sur la femme migrante.
Lors de mes rencontres avec des exilés et surtout des femmes, il y avait des choses folles. Le truc de «la pauvre exilée qui ne parle pas français, qui galère», ce cliché qu’on nous vend un peu toujours, j’ai voulu à tout prix l’éviter. Dans mes courts-métrages avec des femmes réfugiées, il y avait un chemin de croix tellement fort et résilient, j’étais passionné par ça. Et c’est ce que j’ai vu à travers Zar, car elle l’incarnait. Lorsqu'on apprend que 150 migrants sont morts en Méditerranée, on s’en fout, c’est une masse.
Lorsqu'on apprend que 150 migrants sont morts, on s'en fout. Mais si on décortique les destins de chacun, là on est choqué
Mais si on décompose un peu, qu’il n'y a que quatre ou cinq personnes qui périssent et qu’on décortique les destins de chacun, là on est choqué. Il y a cette identification très forte de vie similaire, sauf que nous, on n’a pas besoin de fuir notre pays. Dans le récit de Chehreh, de femme forte, c’est plutôt elle qui le sauve et pas l'inverse, en prenant parfois la tête du duo lorsqu’ils marchent.
Une traque en haute montagne, c'est ce qui vous attend dans #LesSurvivants, le thriller « intense et puissant » (@OuestFrance) de @guillaumusson avec #DenisMénochet & #ZarAmirEbrahimi
Le 4 janvier au cinéma ! pic.twitter.com/TQMfE2LlMj— Ad Vitam (@AdVitam_distrib) December 20, 2022
«Les Survivants» trouve d'ailleurs un fort écho dans l’actualité, avec l’affaire de l’Océan Viking ou celle des migrants noyés dans la Manche.
Ce qui était très particulier, c’est qu’à l’écriture, on a anticipé des éléments qui se sont produits dans le réel. Il y a plusieurs exemples. Le premier c'est que nous étions à peu près sûr que nos personnages allaient découvrir des cadavres dans la montagne. On s'est dit allons-y, faisons-le. Puis, quelques mois après, Le Monde titre qu’avec la fonte des neiges dans les Alpes, on retrouve les corps de trois randonneurs. Dans le même aspect, je trouve très touchant les témoignages d'habitants de villages qui étaient contre l’accueil de réfugiés, et une fois qu’ils sont là, le village se met à renaître. C’est arrivé dans le sud de l’Italie, mais aussi en France. Ce genre de films, parce qu’il y a un écho, c’est aussi dire qu’on a plus de devoirs que de droits. C’est réfléchir profondément, via le cinéma et la fiction, de prendre du recul sur ces sujets.
À côté de la production du film, et de ceux qui pourront être convaincus par son message, la perception de la réalité n'est pas, à l'heure actuelle, forcément la même. Plusieurs sondages indiquent qu'une majorité de Français souhaitent un durcissement de la politique migratoire. Pourquoi, selon vous, cette majorité existe ?
Je pense que c’est la posture de la peur, qui se répand beaucoup plus vite, comme le mensonge, plutôt que la vérité et l’entraide. C’est ce qui marche très bien et qui est vendeur. Ce qui était intéressant, c’était de montrer que ces trois personnages se retrouvent dépassés par leur propre violence et leur propre chasse à l’homme.
Ce qui m’étonne dans les retours de ce film, c’est quand des spectateurs viennent me voir en me disant : «Bon, on ne peut pas tous les recevoir, mais je suis touché par cette banalisation de la haine et du rejet de l’autre». Ils se rendent compte jusqu’où peut aller le racisme, cette peur de l’étranger. Avec ce film, je n’apporte pas de réponse, ça n’est pas mon ambition. J’essaye d’être un peu plus humble sur le sujet.
Quelque part, vous refusez de catégoriser ces personnes qui sont dans le rejet ?
Ce sont surtout des personnes qui en ont ras-le-bol, qui vivent un truc qui leur tombe dessus. Ce que je trouve intéressant dans l’exil de Chehreh, c’est la responsabilité de l’État français pour ces personnes qu’on a abandonné [en tant que traductrice pour la France en Afghanistan, Ndlr], alors qu’on était très content qu’ils soient là-bas. L’État français n’est pas montré, sauf avec quelques personnages de policiers, car l’objectif était de placer des éléments d’humanité un peu partout : à travers ce personnage principal qui souhaite se couper du monde et qui peut tendre la main, cette femme migrante qui se méfie des hommes, ces trois jeunes dépassés par leur propre violence.
Quel sera la suite de votre côté ?
Je trouve intéressant de partir de sujets de société, ancrés dans le réel. Et à partir de ces sujets-là, s’interroger sur le genre de cinéma, quelle manière de filmer, pour ne pas tomber dans quelque chose de trop naturaliste. C’est donc expérimenter la forme, le visuel. Je suis dans l’écriture, j’espère que ça ne sera pas trop long. J’ai déjà attendu dix mois la reprise d’un tournage, je sais ce que c’est maintenant (rires) !
Les Survivants, de Guillaume Renusson, 1H34, en salles.