Homme sensible, travailleur, engagé, François Cluzet est l'un des acteurs les plus appréciés du public. A l'affiche de la comédie noire «Mascarade» ce mardi 1er novembre, l'acteur de 67 ans est revenu sans retenue pour nous sur son enfance, ses succès et son désir de devenir réalisateur.
Convoyeur de fonds, milliardaire tétraplégique, médecin, navigateur en ciré jaune, avocat pénaliste... François Cluzet a tout joué, ou presque. Dans «Mascarade» de Nicolas Bedos qui sort au cinéma ce mardi 1er novembre, l'acteur incarne un riche agent immobilier de la Côte d'Azur qui va se retrouver au cœur d'un stratagème machiavélique orchestré par un couple d'arnaqueurs. Un rôle dense que le comédien ne pouvait refuser.
Pourquoi avoir accepté la proposition de Nicolas Bedos ?
Avant même ce rôle d’agent immobilier trompé et trahi, c’est la densité et la qualité du scénario qui m’ont plu. J’ai été obligé de lire deux ou trois fois le script pour comprendre les tenants et les aboutissants du personnage. La tendresse qui s’en dégage m’intéressait aussi. J’ai souvent été caricaturé comme dans «Les petits mouchoirs» (de Guillaume Canet, en 2010, ndlr) où j’incarne le type qui s’énerve, et je fus donc étonné que Nicolas me propose ce rôle d’homme sensible, fragile. Il me voit ainsi, comme une personne tendre.
Tendre, vous l’êtes ?
Oui, je pense. Je me retrouve aussi beaucoup en Nicolas. Comme lui qui a voulu se détacher de son statut de «fils de» (il est le fils de Guy Bedos, ndlr), j’ai eu ce petit côté provoc’ à mes débuts. Quand vous êtes doué et que tout vous réussit, ou que l’on vous dit très tôt que vous allez devenir un grand acteur comme ce fut mon cas au cours Simon, vous vous imposez des contraintes. Comme Nicolas, j’ai bu, je suis devenu un fêtard que l’on considérait comme peu fiable, car je voulais être jugé à l’écran et prouver que j’avais du talent. J’avais cette excessive nécessité d’être bon en jouant. Finalement, j’ai eu le même rapport que Nicolas à la célébrité : j’ai voulu me «coller» des handicaps pour les dépasser et prouver que j’étais talentueux.
Enfant, vous rêviez d’être célèbre ?
J’ai toujours voulu l'être. C’était déjà mon rêve à 10 ans. A l'époque, je chantais en yaourt dans un petit groupe de rock et je me souviens encore des trois sœurs du guitariste qui avaient respectivement 3, 5 et 7 ans. Le regard admiratif qu’elle posait sur moi ne m’a jamais quitté.
Chez moi, l'habit fait le moine. Mon physique est une chance.
Etre célèbre signifiait aussi devenir séduisant. Quand j’étais jeune, je souffrais d’un complexe d’infériorité. Moi, le fils du marchand de journaux, je n'étais pas très grand, et je n'avais pas les yeux bleus, ni de larges épaules. Je me disais que j’allais «ramer» avec les femmes. En devenant un acteur célèbre, je pouvais prouver aux autres que je valais au moins quelque chose professionnellement. Ce physique banal, commun, moderne a été une chance pour moi.
Ce physique «ordinaire» vous a donc aidé dans votre carrière…
J’ai compris très tôt que l’habit fait le moine chez moi. Je mets une soutane et j’ai l’air d’un curé. Comme dit Daniel Auteuil, nous avons des physiques de valets de comédie donc de seconds rôles. Mais le cinéma a évolué et les seconds rôles sont devenus les premiers. Il est beaucoup plus facile de s’identifier à un physique médiocre plutôt qu’à un bellâtre comme Alain Delon dans «La Piscine». Mon physique a l’avantage de se prêter à tout. C’est donc en effet une chance. Je peux aussi bien interpréter un ouvrier qu’un médecin ou un bourgeois. Mais une carrière au cinéma ne tient pas uniquement qu’au physique, il y a aussi la qualité d’interprétation. C’est pourquoi les jeunes actrices et acteurs de 18 ans, au physique dit «de cinéma», qui débarquent au Festival de Cannes dans l’espoir d’être repérés dans la rue, vont être déçus.
Contrairement aux personnages de «Mascarade» dont l’existence n’est faite que de mensonges et qui vivent sur la Côte d’Azur, un paradis qui peut être trompeur comme Los Angeles ou Las Vegas, pensez-vous qu'un acteur doit être sincère ?
J’adore la citation de Marivaux dans «Les acteurs de bonne foi» : «Ils font semblant de faire semblant». Comme dans la vie, si vous n’êtes pas sincère à l’écran, ça se voit. Au-delà d’être sincère, il faut être vivant. Je dis souvent que les amateurs, eux, jouent comme on s’amuse dans la cour de récréation. Quand on est un professionnel, on peut jouer dans des comédies comme «Les petits mouchoirs» et s’amuser à être ridicule, mais on peut aussi figurer au casting de «L’homme de la cave» (de Philippe Le Guay en 2021, ndlr) où l’on incarne un salopard. C’est intéressant de se glisser dans la peau de monstres qui sont toujours plus complexes que les héros. On peut leur donner quelques qualités - une voix douce, par exemple - pour brouiller les pistes et les rendre en apparence gentils. Jouer un héros comme James Bond est inintéressant. On ne peut jamais le noircir. C’est le décor et les situations qui font le bonhomme.
Vous n’avez jamais caché votre envie de passer à la réalisation. Le jour J est-il arrivé ?
Cela fait cinquante ans que j’attends le jour J ! Je me demande s’il arrivera un jour (rires). Contrairement à ce que l’on imagine, la réalisation n’est pas difficile. On est entourés de gens très doués pour nous guider derrière la caméra. En revanche, la direction de jeu reste ardue. Il faut être acteur pour bien diriger.
J'existe quand je joue. Quand je ne tourne pas, je m'emmerde. L'oisiveté me fait souffrir.
Etant acteur et adorant les acteurs, je suis convaincu que je pourrais leur donner du plaisir à jouer et à être sincère. Je veux filmer des situations invraisemblables, voire surréalistes, mais que les comédiens les rendent crédibles par leurs convictions. Ce genre de cinéma n’inspire guère les producteurs qui restent sceptiques. Selon eux, ce n’est pas le moment, le public ne serait pas prêt.
Avez-vous déjà songé à abandonner ?
Non, mais c’est un travail de longue haleine. A chaque fois que j’apporte une nouvelle version de mon script à des producteurs, ils reviennent avec une tonne de remarques et de corrections. Certains me disent que je devrais réaliser un film sur ma jeunesse difficile auprès d’un père qui m’a instrumentalisé, mais à 67 ans, et après une psychanalyse, je suis passé à un autre chose. Je n’ai aucune envie de mettre en scène une œuvre autobiographie et encore moins d’adapter un bouquin. Depuis que je suis figurant, je veux faire rire avec ce qui m’a fait pleurer, la comédie étant juste le pas après la tragédie. Ce qui m’importe, ce sont les situations, je me fous des dialogues. Alors j’essaie, mais écrire me demande beaucoup d’énergie…
Et de temps…
Face à l’ampleur de la tâche, j’ai parfois eu l'envie de tout déchirer. J’ai la chance de beaucoup travailler, mais la préparation d’un rôle et le tournage me prennent en moyenne quatre ou cinq mois. Ensuite, j’ai besoin d’au moins un mois pour retrouver la fulgurance de l’écriture. J’ai donc décliné certains rôles pour me consacrer entièrement à ce projet de film. Mais je ne sais pas si je pourrai refuser tous les rôles que l’on me propose pendant des années, par manque d'argent et par une envie d'exister.
Acteur est donc plus qu'un simple métier pour vous ?
Ce n’est pas un métier, c’est une aventure. Je suis acteur pour vivre les situations. J’existe quand je joue, et exister, c’est une drogue. Alors quand je ne tourne pas, je me sens inutile. Je m’emmerde. L'oisiveté me fait souffrir.