Après un album acoustique en 2020, Ben Harper, dont la modestie n'a d'égale que son talent, revient avec «Bloodline Maintenance», son 17e album studio. À cette occasion, il se confie à CNEWS sur son éducation musicale, son rapport au succès et ses envies futures.
Vous avez grandi dans un magasin de musique et débuté la guitare très jeune, quels sont vos premiers souvenirs artistiques ?
Enfant, je ne faisais pas tant de musique. Mais j’étais totalement fasciné par les instruments et par les musiciens. Puis j’ai pris des cours de piano, des cours de batterie. Le fait d’écrire est venu beaucoup plus tard. Dans le magasin de mes grands-parents, c’était un environnement très particulier. Il y avait des instruments qu’on ne voyait pas ailleurs. Et les musiciens qui venaient jouer avaient tous des vies extrêmement différentes, pleines de péripéties. Ça m’a beaucoup appris !
Est-ce que vous avez tout de suite envisagé la musique comme un métier ?
Je n’ai jamais été très à l’aise avec le fait de parler de la musique comme de mon métier à vrai dire. Mais aujourd’hui je pense que j’ai mérité le fait de le considérer comme tel. Ça serait un peu un sacrilège de ne pas le faire vu que je ne fais que ça de ma vie !
Une chose est sûre, j'ai dédié ma vie à la musique.
Après je pense qu’il y a une différence entre le fait de se sentir professionnel, de s’assumer comme tel, et le besoin de se définir comme tel. Une chose est sûre, c’est que j’ai dédié ma vie à la musique.
Quel est votre rapport au succès, de manière générale ?
Le succès est globalement défini par les autres, qui estiment que vous êtes célébré ou non. Ils projettent ce sentiment-là sur vous. Mais la reconnaissance est quelque chose de très différent. Et je me sens très privilégié d’être reconnu pour ma musique. Vous imaginez ? Dans un monde plein de musiques extraordinaires, pouvoir être reconnu pour votre son, pour vos créations. Je n’ai jamais pris ce sentiment pour acquis, pas une seconde. J’ai peut-être pu commencer à le faire quand j’étais fatigué, mais je reviens très vite sur le droit chemin (rires).
Ce nouvel album est votre 17e album studio, vous pensiez en faire autant ?
Non, clairement pas. Je savais que j’avais beaucoup de choses à dire, mais je n’aurais jamais imaginé ceci. Avoir vécu assez longtemps pour regarder en arrière et voir ce nombre d’albums, c’est extraordinaire. À chaque fois que je fais un disque, je me demande si je serai capable d’en faire un nouveau ensuite. C’est un vrai challenge de faire un album. Il faut avoir de réelles conversations avec soi-même pour y arriver. C’est même très dur de terminer une seule chanson dont on est fier ! Il y a de vraies phases de doutes. Mais quand un album est terminé, c’est un tel soulagement. C’est à la fois un soulagement immense et une tourmente pour la suite. Aujourd’hui j’espère qu’il y en aura un 18e, un 19e… Et je veux absolument faire un album de reggae.
Les idées vous viennent rapidement quand vous composez ou vous avez besoin de beaucoup de temps ?
Les deux. Hier, j’ai eu un flash quand j’étais au parc avec mes enfants, je suis rentré et j’ai terminé une chanson. Mais ça n’arrive pas toujours comme ça, pas du tout.
Vous le considérez comme un nouveau départ cet album ?
C’est un piège pour moi cette question, car j’ai l’impression qu’à chaque album je dis que c’est un nouveau départ ! Mais pour être honnête, et ne pas me répéter, je peux dire avec une certitude absolue qu’il n’y aucun précédent album qui ne m’a semblé être autant un «reset». En ce sens-là, on peut parler d’un nouveau départ oui. Qui plus est, cet album arrive après un album acoustique. De mon point de vue, il me paraît différent.
Le titre «we need to talk about it» aborde la question des blessures de l'esclavage, c’est un sujet dont vous vouliez parler depuis longtemps ?
Oui, j’ai essayé d’écrire ce titre depuis des années et j’ai enfin réussi. Il y a un aspect très fragile dans les chansons engagées. Cela demande une composition spéciale, et surtout de la compassion.
Est-ce que vous qualifieriez votre musique d’engagée ?
Je pense que le terme convient. Une chose est sûre, c’est que je suis engagé vis-à-vis de ce que je fais, je tiens mes positions. Je pense beaucoup à ce que je mets sur le papier, je ne prends pas les choses à la légère.
Vous avez évoqué plusieurs fois votre envie de quitter les Etats-Unis, notamment sous la présidence de Donald Trump, quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
Il n’a pas changé. J’aimerais vivre en Europe, dans un futur très proche ! M’y rendre une bonne fois pour toutes.
J'aimerais vivre en Europe, m'y rendre une bonne fois pour toute.
Il a un an, votre pire regret était de ne pas avoir joué avec Lauryn Hill. Ça l’est toujours ?
Oui, j’avais l’opportunité de participer à l’album The Miseducation of Lauryn Hill, mais je ne pouvais pas à cause d’un concert, et encore aujourd’hui je me dis que j’aurais dû l’annuler. Je pense que ce genre d’opportunité n’arrive qu’une fois. Mais je n’annule pas de dates donc ce n’était pas vraiment un débat, cela devait être comme ça. À l’époque, on ne pouvait pas s’envoyer les titres par Internet, ça aurait été trop compliqué.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune musicien qui veut se lancer en 2022 ?
Premièrement : apprends à savoir qui écouter et qui ne pas écouter. Deuxièmement : travaille jusqu'à pouvoir te produire en live. Troisièmement : trouve toujours comment dépasser les obstacles que tu te mets toi-même. Je pense que le documentaire sur les Beatles est très important en ce sens. Pour moi, ils sont au niveau le plus haut de l’art, à l’époque moderne. Mais il y a eu des moments où leur musique était médiocre. Juste des moments ! Mais ils ont dépassé ça. Et tout le monde peut le faire. Il n’y a qu’un pas entre le génie et la médiocrité. On peut tous être médiocres, donc c’est assez inquiétant, mais en même temps on peut aussi dépasser cela. Même si on n’a pas tous John Lennon, George Harrison et Paul McCartney sur qui se reposer. D’où le premier conseil : savoir qui écouter et ne pas écouter.
Comment est-ce que vous voyez le futur de votre carrière, à l’instant T ?
J’ai fais de la musique toute ma vie, donc je ne l’imagine pas sans. Depuis que j’ai 23 ou 24 ans, j’ai 52 ans maintenant, j’ai sorti un album tous les ans et demi environ. Je ne me reconnaîtrais pas sans la créativité. Heureusement, je me sens actuellement dans une phase plutôt dynamique, j’ai l’impression que le champ des possibles est assez vaste pour le futur. Ça me donne un shot d’énergie, j’ai l’impression qu’une nouvelle route s’offre à moi et j’ai hâte de voir ce qu’elle a à m’offrir. Si je peux faire de la musique toute ma vie, j’en serai le plus heureux.
«Bloodline Maintenance», Ben Harper, disponible le 22 juillet 2022. En tournée en France à partir du 20 juillet.