Une entrée fracassante en tête des ventes dès la sortie de son nouvel album. La chanteuse sud-coréenne Youn Sun Nah, bien connue du public français, est de retour avec «Waking World», son dernier disque entièrement garni de ses compositions - une première - et porteur d'une douce mélancolie, à l'image de notre époque marquée par la pandémie.
Celle qui partage sa vie entre la Corée et la France, son pays d'adoption, a su profiter de la difficile période de pandémie pour s'offrir un voyage introspectif en onze titres qu'elle livre désormais au public. Contrainte de se confiner dans la campagne sud-coréenne, elle a trouvé l'énergie pour aller au bout, vingt ans après la sortie de son premier album, «Reflets», des morceaux qui lui trottaient dans la tête depuis si longtemps. Enfin de retour dans l'Hexagone - pour une nouvelle série de concerts, dont une date, ce jeudi 31 mars, à la Seine musicale à Boulogne-Billancourt - elle explique à CNEWS comment elle a enfin assumé ce nouveau rôle de songwriteuse.
Ces morceaux de votre composition sommeillaient depuis longtemps en vous ou tout est venu au moment de la création de l'album ? La pandémie a-t-elle influencé votre décision ?
C’est venu au fil du temps. J’avais des mélodies qui me trainaient dans la tête, que j’avais pu commencer à composer depuis longtemps déjà. Puis il y un ou deux ans, j’ai commencé à vraiment y réfléchir. Dans mes précédents albums, j’avais parfois quelques-unes de mes compositions, mais jamais tout un disque en entier. Puis j’ai entamé l'écriture, sans forcément imaginer des morceaux définitifs, avec le travail de mes musiciens derrière. En fait, je pensais déjà à ce nouvel album en février 2020, quand le monde n'était pas encore paralysé. J’étais en France en février 2020, et j’avais commencé à écrire l’album que je devais enregistrer à l’été 2020.
Pendant longtemps, j'ai pensé ne pas être légitime à faire un album entier avec mes compositions.
Je suis allée aux Etats-Unis en mars pour rencontrer les musiciens. Puis Trump a déclaré le lock-down. J'ai pris le tout dernier vol pour rejoindre mes parents en Corée, et je suis restée là-bas pendant un an et demi. Finalement, par la force des choses, j’ai fait un album toute seule. Au départ ça n’était pas du tout prévu comme ça. Pendant longtemps, j'ai pensé ne pas être légitime à proposer un album entièrement composé de mes oeuvres.
Les thèmes abordés font penser à des discussions, des dialogues que vous pouvez avoir, avec quelqu’un ou avec vous-même. C’est assez différent de ce que vous avez pu proposer avant, avec une grande charge mélancolique, et des titres assez sombres. La situation que le monde entier traverse encore a noirci vos compositions ?
Cela a forcément influencé mes compositions, et en même temps j’aime beaucoup les ballades, les chansons mélancoliques. J’écris les paroles toujours en dernier, donc forcément on y retrouve cet aspect mélancolique, nostalgique. D’une part, je ne pouvais pas voir beaucoup de gens pendant cette période, et en plus, j’habite à la campagne en Corée.
J’étais dans la nature, avec beaucoup de temps avec moi-même. Je ne pouvais qu’être sincère, un peu comme si je racontais mon journal intime. J'ai décrit mon monde intérieur. On peut d'ailleurs voir ces endroits dans les clips des chansons «Don't get me wrong» et «Waking World ?», ou je me promène dans la forêt qui est juste à côté de chez moi.
Cette forme de retraite à la campagne que vous avez vécue a-t-elle joué dans ce résultat plutôt éloigné du jazz ? L’album aurait-il été différent si vous l’aviez composé à New-York, comme prévu, avec l'énergie qu'on associe à cette ville ?
Je pense que ça aurait été différent. Quand j’ai écrit des albums ou morceaux à New York, j’étais entourée des instruments, des musiciens, l’énergie qui vous entoure vous stimule. Cette fois, c’était beaucoup plus difficile, je me suis parfois torturée, j’ai dû aller puiser très loin l’envie et la motivation de travailler, de composer. A la campagne, c’était un peu comme si j'étais avec ma mère, ça représentait quelque chose de rassurant, comme dans un cocon. A New York par exemple, au contraire, je suis là pour être le réceptacle de l’énergie des autres. Et puis cet album est différent car comme je ne pouvais pas avoir les musiciens à côté de moi, j’ai un peu fait, dans la sonorité, avec les moyens du moment, c'est-à-dire un ordinateur !
Le fait de proposer des styles plus proches de la chanson que du jazz, même si on peut le retrouver par petites touches, vient aussi de l'envie de ne pas être attachée à un style particulier ?
En fait, mon premier album est le fruit de ce que j’ai appris, mais sur le tard. Avant mes 26 ans et mon arrivée en France, je n’avais jamais vraiment appris le jazz, je ne savais pas ce que c’était. Puis à l’école, mes professeurs m’ont donné accès à ce répertoire, en me familiarisant avec la tradition plus européenne, qui était tellement différent de ce que j’écoutais plus jeune, à l’image d’une Billie Holliday. J’ai adoré cette musique, sans même me poser la question de l’étiquette. Je me demandais si avec ma voix de soprano, je pouvais chanter ça, et mes professeurs m’ont poussé à le faire, en me disant que le jazz n’était pas une question de timbre de voix.
Je remercie le monde du Jazz de m'avoir accueillie telle que j'étais.
J’ai aussi été forcément influencée par ma jeunesse en Corée, la pop coréenne, la musique traditionnelle. J’ai plutôt absorbé toutes ces influences, comme une éponge. Je ne me suis donc jamais vraiment posée la question du style. Il y a de toute façon toujours des gens qui diront que je ne suis pas une chanteuse de jazz. Mais je continue à remercier ce milieu qui dans sa très grande majorité m’a accueilli telle que j’étais.
Le livret est rédigé avec votre propre écriture. Y-a-t-il une raison particulière ?
J’ai fait le livret toute seule, les photos, en mode selfie, comme l’écriture. Je ne savais pas quand j’allais pouvoir revenir, enregistrer, alors j’ai fait tout de mon côté, comme si j’allais pouvoir avoir quelque chose à offrir, aux gens que je pouvais voir, aux amis. C’est donc vraiment mon album le plus personnel, tout a été fait sur place et par mes propres moyens !
Cela fait plus de vingt ans que votre premier album est sorti, et la période du Covid a été pour tout le monde une phase de retour sur soi, de réflexion. Qu’aimeriez-vous retenir de ces vingt années de production ?
Etrangement, cet album, le 11eme pour moi, est un peu comme si c’était le premier. Cela m’a pris vingt ans pour faire un album en entier avec mes propres compositions ! C’est comme si je recommençais de zéro. Je ne suis plus jeune désormais, et pourtant je n’ai jamais eu autant d’énergie. J’ai vraiment envie de travailler encore plus, encore mieux, comme si chaque seconde comptait.
La période m’a donné l’occasion de réfléchir, de me poser comme j’en avais sans doute envie depuis longtemps. Désormais j’ai envie de repartir, faire le maximum jusqu’à la prochaine catastrophe ! Je me suis aussi rendue compte pendant ce confinement à quel point la scène était importante pour moi depuis toutes ces années. J’enregistre vraiment mes albums pour pouvoir les chanter sur scène, c'est mon but.
Après tous ces albums, qui touchent au jazz, à la folk, la pop,...Y-a-t-il quelque chose qui vient de la Corée dans votre travail, que ce soit dans les morceaux, les thèmes ou les textes ? Ce pays est-il, d'une manière ou d'une autre, présent dans votre œuvre ?
Certains m’ont fait remarquer par le passé qu’il y avait certaines couleurs ou harmonies traditionnelles qui peuvent faire penser à l’Asie dans ma musique. Mais ça reste très inconscient. Ca va être sur un accord au piano par exemple. Donc la Corée est en moi, avec l’héritage de ce que j’ai entendu petite. Même quand je vais chanter une chanson traditionnelle française, l’émotion que je vais y mettre sera sans doute coréenne. Nous avons aussi notre propre blues, très expressif.
Un album en français, ça n'est pas pour tout de suite.
Alors quand je suis triste, que je veux faire passer ce sentiment dans une musique, je pense que je suis 10 fois plus triste ! Quand je fait un blues américain, il est aussi coréen, car je le porte avec les émotions que j’ai l’habitude d’entendre là-bas.
Est-ce que vous imaginez possible de faire un album en coréen, ou en français ?
Ah ça n’est pas pour tout de suite. Mais c’est la même chose pour un album en français. Mes amis me demandent toujours quand j’en ferai enfin un. Mais c’est très difficile, parce que je n’ai pas envie de faire n’importe quoi. Ces deux langues sont pour moi sans doute trop proches, la France est ma deuxième maison. Je ne veux pas le faire à la légère, mais vraiment y réflechir encore.
Waking World, Youn Sun Nah, Warner Music. En showcase à la Fnac des Ternes (Paris 17e) vendredi 11, 18h, en tournée dans toute la France (le 31 mars à la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt).