Hilarant dans les séries ou brillant en improvisateur sur scène, Simon Astier a choisi d'élargir encore un peu plus sa palette d'artiste en adaptant le fameux «Discours» de FabCaro pour le théâtre, et offrir ainsi au public un seul en scène aussi original que drôle.
Loin des costumes foutraques de sa série Hero Corp ou de son personnage d'éternel ado Yvain dans la série Kaamelott de son demi-frère Alexandre, le Lyonnais se glisse cette fois dans la peau du tout frais quadragénaire Adrien, héros du roman à succès de Fabrice Caro, sorti en 2018, plus connu sous son nom d'auteur de BD, FabCaro. Une transposition qui est vite apparue comme une évidence pour Simon Astier : «Je suis avant tout devenu réalisateur ou scénariste, même si j'adore le théâtre. Le seul en scène n'était pas du tout un projet pour moi. Mais au bout de quelques pages du roman, ce projet est devenu une priorité absolue. Il concrétise exactement ce que j'aime faire dans ce métier, ce qui me touche, à savoir raconter des histoires aux gens», explique-t-il à CNEWS.
Sentimental anxieux, observateur de la vie qui l'entoure plutôt qu'acteur, on retrouve cet Adrien lors d'un dîner de famille chez ses parents, en compagnie de Ludo, son futur beau-frère, qui n'imaginait pas dans quel abîme d'angoisse il allait le plonger en lui proposant de faire un discours pour son mariage à venir avec sa soeur. Car Ludo n'attend pas de lui un simple speech, mais quelque chose de «merveilleux», il en est sûr.
Quand en plus, il se met en tête de renouer par texto avec son ex Sonia, dont la relation avec lui est «en pause» depuis trois semaines, c'est tout son univers intérieur et sa confiance qui vacillent...Pourquoi a-t-il donc mis ce point d'exclamation en conclusion de son inoffensif « Coucou Sonia, j'espère que tu vas bien. Bisous !» ?
Simon Astier tel qu'en lui-même
Suivant le fil de son monologue intérieur, à grand renfort de souvenirs déterminants, on découvre ainsi sur la scène du Théâtre Michel (Paris 8e) le héros au carrefour de sa vie. Le décor, simple en apparence (la table de la salle à manger, les toilettes, les guirlandes d'un mariage), mise sur les changements de lumière, l'évolution du repas, et quelques petits détails qui font correspondre la scène au cheminement intérieur de notre héros hypersensible.
Le quadragénaire se remémore, à mesure que le diner chez ses parents avance, cette soirée déguisée - et une mémorable session de danse à provoquer les fous rire - qui commence de la pire des manières mais durant laquelle il rencontrera cette fameuse Sonia, façon Gaston Lagaffe. On le suit dans ses projections lors du mariage à venir et de ce fameux discours qu'il devra prononcer, dont il offre une version différente selon son état d'esprit du moment. Et on assiste en riant presque à contre coeur à toutes ses tentatives de reprendre le dessus, puisque si sa chère Sonia n'a pas encore répondu, c'est sans doute à cause d'un accident de voiture, ou d'une batterie de portable à plat.
Si le texte est plus que savoureux, le sel de la pièce tient aussi à la correspondance qu'on devine entre le héros et la personnalité de Simon Astier. « J'ai en commun avec ce personnage, en plus de son âge, cette faible capacité sociale. Je fais souvent les choses chez moi, je rejoins les plateaux, je fais mon truc et puis je m'en vais. Je suis à l'aise dans ce costume là, sans rechercher obligatoirement les interactions et la vie de groupe». Une pudeur, voir une timidité partagée avec Adrien, qui a jusqu'à présent empêché Simon Astier de partager le fruit de son adaptation avec Fabcaro. « Il n'est pas encore venu, car j'étais terrorisé à l'idée de le voir dans la salle. Mais, ça y est, j'ai franchi le cap, je me suis fait à l'idée. En tout cas, il m'a laissé faire ma version avec énormément de bienveillance, un vrai soutient. Une de mes premières dates de tournée sera dans son fief en Bretagne, c'est là qu'il viendra me voir. Nous sommes tous les deux des personnalités très pudique, et ça ne facilite pas le contact entre nous. »
Autant de moments où la tendresse le dispute à l'humour, jusqu'au final, crée pour la scène, où l'espoir semble enfin renaitre pour Adrien. «Ce qui m'a touché, c'est qu'à la fin de la pièce, l'espoir revient tout aussi vite qu'il est parti lorsqu'il a accepté de faire ce fameux discours. On peut être submergé par une vague de tourment, mais, en contrepartie, pour ce genre de personnalité, rebondir plus vite que les autres», justifie Simon Astier. «Un petit espoir peut très bien devenir un grand espoir. Je me suis beaucoup identifié à ce personnage, et, comme lui, je suis persuadé qu'on peut traverser les pires tourments, se faire une montagne de la moindre contrariété, mais à l'inverse, vivre aussi de très belles choses à partir de peu. C'est ce qui nous fait souvent traverser la vie et tenir dans ces montées d'ascenseurs émotionnels.»
Prendre le temps d'en rire
Loin des one-man show surexcités et sans temps morts où la blague toutes les trois minutes est la règle d'or, celui qui proposera bientôt pour la chaîne Warner sa première création originale française joue avec les silences, et imprime son rythme à ce monologue d'1 heure 15 où les sourires du public laissent rapidement place à des fous rires en cascade, et dans lequel chaque spectateur - difficile d'avoir échappé dans sa vie à un repas de famille, une peine de coeur ou un mariage - quelque soit son âge, devrait s'y reconnaitre.
«Fabcaro est quelqu'un qui reste fidèle à lui-même, à ce qu'il est. Et pourtant c'est comme cela qu'il va trouver le plus grand nombre, offrir quelque chose d'assez universel. Depuis que je joue la pièce, j'ai pu voir toutes les générations dans la salle, certains me racontant avoir eu l'impression de voir leur vie défiler sur la scène», enchérit le comédien.
Pour le spécialiste de l'improvisation et du travail de troupe, cet exercice du seul en scène, sur un texte très écrit malgré le naturel apparent qui en ressort, représentait un vrai défi. «J'ai toujours considéré l'improvisation comme un élément indispensable de l'acteur. Quand on a fait des grands shows, on partait en troupe, avec des acteurs, de techniciens, des musiciens, on a joué dans de grandes salles, il y avait un énergie formidable, ou tous les talents s'agrégeaient. Le seul en scène est à l'opposé. On est seul avant, pendant et après le spectacle. Mais ce texte, ce qu'il raconte, sur l'humain, sur un homme tourmenté, isolé dans sa tête, m'a poussé à le faire. Je devais raconter ce texte, ça s'est imposé à moi. Ca n'est pas la démarche de monter seul sur scène, mais celle de raconter cette histoire.»
La respiration entre chaque scénette, loin de casser le rythme de ce monologue, lui donne au contraire la possibilité d'être digéré, intériorisé par le spectateur, qui comprend alors toutes les subtilités du dialogue intérieur de cet homme, isolé dans sa tête. «On est vraiment dans le cerveau de quelqu'un. Je trouve ça luxueux aujourd'hui de pouvoir utiliser le silence sur scène. L'idée est de présenter cet homme, comment il réflechit. C'est ma façon à moi de concrétiser les petites voix intérieurs. Il y a des moments où tout va sortir d'un bloc, puis je m'arrête d'un coup avant de repartir. A aucun moment je ne me suis senti prisonnier de la rythmique one-man show. »
Une rythmique trop rare sur scène pour qu'on boude son plaisir de voir, seul, cet acteur pendant plus d'une heure, incarnation pleine d'hilarantes contradictions d'un homme à l'opposé du héros moderne, épanoui, sûr de lui mais finalement bien lisse.