Parmi les centaines de romans publiés en cette rentrée littéraire 2021, seuls quelques-uns ont l'honneur d'être sélectionnés pour les prix Goncourt, Renaudot, et Femina. Voici nos favoris.
Christine Angot, «Le Voyage dans l’Est»
Un autre regard sur son traumatisme. Christine Angot signe un nouvel ouvrage au fil duquel elle revient sur un thème déjà maintes fois évoqué dans ses précédents livres : l’inceste dont elle a été victime. Dans ce puissant roman, intitulé «Le Voyage dans l'Est» (éd. Flammarion), l’auteur de 62 ans restitue avec sobriété sa relation avec son père incestueux. Elle raconte comment ce brillant traducteur au Conseil de l’Europe, qui, après avoir déserté avant même sa naissance, et qu'elle voulait aimer, a abusé d’elle entre ses 13 et 16 ans. Mais ici, contrairement à «L'Inceste» (éd. Stock), paru il y a vingt ans, la plume est plus apaisée et la chronologie des actes subis plus précise. Sans pathos, elle décrit la domination incestueuse de son agresseur, son matraquage verbal pour justifier leur relation, la difficulté de dire «non», d’alerter, mais aussi l’aveuglement volontaire de sa mère, le silence des personnes qui l’entoure. Le tout, en creusant plusieurs points de vue : celui de l’enfant, de l’adolescente, et de jeune adulte qui essaye tant bien que mal de se reconstruire.
Christine Angot, «Le Voyage dans l’Est», éd. Flammarion, en lice pour le prix Goncourt.
Amélie Nothomb, «Premier Sang»
Au nom du père. Avec son nouveau et trentième roman, baptisé «Premier sang» et publié comme tous les autres chez Albin Michel, Amélie Nothomb rend hommage, de manière touchante et décalée, à la figure paternelle. Après avoir eu le culot de faire parler Jésus-Christ à la première personne, dans «Soif» (éd. Albin Michel), la dame au chapeau se met dans la peau de son père, Patrick, décédé d’un cancer l’an dernier, le premier jour du confinement. Le temps d’un livre, l’écrivaine belge lui rend ainsi la vie en racontant son histoire. Celle d’un petit garçon, abandonné par sa mère et élevé par ses grands-parents, qui deviendra diplomate, puis sera envoyé en mission au Congo, en 1964. Là-bas, à Stanleyville (aujourd'hui Kisangani), son père, cet amoureux des lettres, ce héros, sera victime d'une prise d'otages, sa première rencontre avec la mort. Mais à laquelle il a échappé. Cet ouvrage sous forme de conte est sans nul doute l’un des plus personnels de la championne des ventes.
Amélie Nothomb, «Premier Sang», éd. Albin Michel, en lice pour le prix Renaudot.
Agnès Desarthe, «L’Éternel Fiancé»
Une histoire impossible. Dans «L’Eternel Fiancé» (éd. L’Olivier), Agnès Desarthe plonge le lecteur dans l’intimité d’une femme, qui croise sans fin son premier amour. Tout a commencé quand elle avait 4 ans, pendant une classe de musique. Etienne est tombé sous le charme de ses «yeux ronds», mais la narratrice ne l'aimait pas à «cause de ses cheveux de travers». Depuis ce jour, cette rencontre ratée, leurs trajectoires ne vont cesser de s’entremêler. Au collège, lors d’une exposition d'art contemporain, dans une bijouterie, dans une rue de Paris, le journal… Mais les retrouvailles sont parfois douloureuses. Car le temps passe, et la mémoire s’effrite. Des années plus tard, elle l’aime passionnément et secrètement, mais son prince charmant a quant à lui oublié son prénom, et est désiré par toutes les femmes. Un récit d’une grande justesse, drôle, vif et mélancolique, qui donne à réfléchir sur l’existence, les conséquences de nos choix, et les sentiments, que l’on croit éternels.
Agnès Desarthe, «L’Éternel Fiancé», éd. L’Olivier, en lice pour les prix Goncourt et Renaudot.
Anne Berest, «La carte postale»
Une carte postale anonyme sur laquelle figure le prénom de quatre de ses ascendants, mortes à Auschwitz en 1942. Tel est le point de départ du roman d’Anne Berest, intitulé «La carte postale» (éd. Grasset). En janvier 2003, la mère de la romancière et dramaturge retrouve cette carte, sur laquelle figure d’un côté l’Opéra Garnier, et de l’autre, les prénoms des grands-parents de sa mère, de sa tante et son oncle. Vingt ans plus tard, aidée d’un détective privé et d’un criminologue, elle tente de lever le voile sur l’identité de l’émetteur. Et elle y est parvenue. Mais le voyage est plus important que la destination. Anne Berest propose de revenir sur cette enquête, le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine, et enfin leur arrivée à Paris, avec la guerre. A travers ce livre de 500 pages, qui retrace un siècle d’histoire, l’auteur fait revivre ses ancêtres tout en questionnant la signification du mot «juif» dans une vie laïque.
Anne Berest, «La carte postale», éd. Grasset, en lice pour les prix Renaudot et le Goncourt.
Sorj Chalandon, «ENFANT DE SALAUD»
Deux guerres en parallèle. Six ans après «Profession du père» (éd.Grasset), ouvrage dans lequel il dresse le portrait de son père violent, fantasque, et mythomane, l’écrivain Sorj Chalandon consacre un nouveau roman à la figure de son géniteur, décédé en 2014, qui, toute sa vie, lui a caché ses agissements sous l’occupation. Dans «Enfant de salaud» (éd. Grasset), un récit bouleversant et courageux, l’auteur lève le voile sur le sombre passé de son père. Cet homme qu’il considérait comme un héros, un combattant, un résistant, jusqu’à ce que de la bouche de son grand-père sorte la vérité. «Ton père portait un uniforme allemand», lui a-t-il lancé. Des années plus tard, en 1987, s’ouvre le procès de Klaus Barbie. Sorj Chalandon, qui a couvert cet évènement historique en tant que journaliste, joue alors avec les temporalités. Il raconte qu’au même moment, il apprend que le dossier judiciaire de son père, sommeille aux archives départementales du Nord. En l’épluchant, il découvre, stupéfait, que son père «a enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre», cinq uniformes en quatre ans, pour s’inventer à chaque fois un nouveau personnage. Au fil des pages, la petite histoire s’entremêle donc avec la grande, et deux figurent du mal se font face. Alors que l’ex-chef de la gestapo de Lyon doit répondre de ses crimes, son père, qu’il continue malgré tout à aimer, doit s’expliquer sur ses mensonges.
Sorj Chalandon, «Enfant de salaud», éd. Grasset, en lice pour le prix Goncourt.
Clara Dupont-Monod, «S’adapter»
«Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté». C’est ainsi que commence «S’adapter» (éd. Stock), le roman poétique de Clara Dupont-Monod, qui a remporté ce mardi 19 octobre le prix Landerneau des lecteurs, puis, le 25 octobre, le prestigieux Prix Femina. Au fil de ce récit, d’une extrême justesse, le lecteur suit le quotidien d’une famille résidant dans les Cévennes après la naissance d’un enfant handicapé. Celui-ci ne marche pas, ne parle pas, et ne voit pas. L’arrivée de ce nouveau-né est certes bouleversante pour les parents, mais aussi pour la fratrie. C’est d’ailleurs autour de celle-ci que le livre est construit. On découvre tout d’abord «l'aîné», qui fait tout pour protéger cet enfant vulnérable, lui fredonne des chansons, et tente de décoder ses pleurs. Puis vient la «cadette», qui, elle, au contraire, jalouse et en colère, le rejette. «Dès sa naissance, elle lui en a voulu. Très précisément au moment où sa mère avait passé une orange devant ses yeux et conclu qu’il ne voyait pas». Enfin, il est question du point de vue du «dernier», né dans l’ombre de son frère. Leurs ressentis, mais aussi le long parcours du combattant des parents, pour trouver une place dans un centre ou encore remplir les dossiers, sont racontés non pas par une, mais plusieurs narratrices, ou pierres. Car oui, ici, ce sont les pierres de la maison, dures, comme la vie, qui prennent la parole pour raconter les scènes dont elles sont témoins. Un ouvrage à la fois touchant et poignant, sans pathos, qui met en lumière la force des liens fraternels et l’incroyable capacité qu'a l’être humain de s'adapter.
Clara Dupont-Monod, «S’adapter», éd. Stock, en lice pour le prix Goncourt.
Thomas B. Reverdy, «CLIMAX»
En Arctique, le compte à rebours est lancé. C’est ce que rappelle au lecteur Thomas B. Reverdy dans «Climax» (éd.Flammarion), un récit d’aventures glaçant et engagé, qui pointe avec habileté les conséquences du réchauffement climatique. Dès la première page, l’écrivain envoie le lecteur à l’extrême nord de la Norvège, dans un village de pêcheurs, où les nuits sont interminables. C’est là-bas que, le 9 septembre, tout commence, ou plutôt, que tout s’arrête. Ce jour-là, un accident se produit sur Sigurd, la plate-forme pétrolière, de l’autre côté du chenal. Deux morts et deux blessés sont à déplorer. Puis une fissure menace le glacier, la banquise fond à vue d’œil, et des poissons meurent. «Il en faut peu parfois, il suffit d’un accident, d’un grain de sable dans l’équilibre fragile des jours, pour que tout s’écroule sans prévenir», écrit-il. Et pendant ce temps, l’homme continue ses activités. Quelques jours plus tard, Noah, ingénieur géologue, revient sur sa terre natale pour enquêter sur ce tragique incident. Heureux de retrouver ses anciens camarades de classe, avec qui il jouait jadis à des jeux de rôles, et dont l’auteur reprend les codes au fil des pages («Pour le savoir, allez au chapitre 19»), il se retrouve alors face à ce qui semble être la fin du monde. Rythmé par des données scientifiques et des légendes scandinaves, cet ouvrage foisonnant est à lire d’urgence.
Thomas B. Reverdy, «Climax», éd.Flammarion, en lice pour le prix Femina.