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BD : les meilleurs albums de l'année 2020

«La bête» de Franck Pé et Zidrou a marqué les esprits des bédéphiles cette année «La bête» de Franck Pé et Zidrou a marqué les esprits des bédéphiles cette année.[© Franck Pé, Zidrou / Dupuis]

Rares sont les secteurs, habitudes ou rendez-vous qui ont pu échapper à l'effet covid, qui frappe le monde entier depuis maintenant plus d'un an. Le secteur de la bande dessinée en est un bon exemple.

D'un côté, le marché de la BD n'a jamais connu un tel engouement, comme l'a montré la récente étude GfK. Nombre d'albums vendus, chiffre d'affaire...Tous les compteurs sont au vert. De l'autre côté, des auteurs en pleine grogne qui souhaitent faire pression pour obtenir une meilleure répartition de ces bénéfices, alors que la majorité d'entre eux vit sous le seuil de pauvreté...Coronavirus oblige, c'est en plus à distance et sans public que le Festival d'Angoulême va remettre ce soir ses Fauves d'Or récompensant les meilleurs albums. Qui saura tirer son épingle du jeu parmi les nombreuses sorties de l'an passé, et devenir, qui sait, le prochain best seller du troisième confinement ? Nous avions, en fin d'année, proposé notre sélection des meilleurs albums 2020. Le futur lauréat du Fauve d'Or du meilleur album y figure-t-il déjà ? Réponse ce soir. 

Rusty Brown de Chris Ware

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© Chris Ware / Delcourt

Après «Building stories» (Prix Spécial Angoulême 2015), Chris Ware livre une nouvelle oeuvre fascinante. Durant 350 pages, on suit principalement la vie de Rusty Brown, un garçon américain un peu «différent». Fan de super-héros, il se sauve de la réalité en se créant ses propres histoires. Risée de ses camarades, victime d'un père autoritaire, il ne parvient pas à s'adapter à son quotidien... jusqu'à rencontrer un professeur de dessin, double de l'auteur. Fils spitituel de Jimmy Corrigan, ce Rusty Brown aborde ici les thèmes chers à son auteur comme le poids de la filiation et le conditionnement mental. Graphiquement, le lecteur se régale : la géométrie de chaque double page propose des dessins de prime abord très froids, à la précision folle, mais qui servent l'histoire avec au final, beaucoup de simplicité et d'humanité. Un génial ovni.

Rusty Brown, de Chris Ware, éd. Delcourt, 350 p., 49,95€

L'arabe du futur de Riad Sattouf

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© Riad Sattouf / éd. Allary

Le petit Riad est désormais adolescent et vit à Rennes avec sa mère et l'un de ses frères. Leur petit frère a été enlevé par leur père à la fin du tome 4. Et la famille bancale doit s'adapter à cette absence alors que leur mère s'enfonce dans une dépression sans fond, et qu'elle tente par tous les moyens de revoir son jeune fils. Comment vivre une adolescence normale ou presque quand on vit un terrible drame personnel ? Riad Sattouf plonge ici dans ses souvenirs d'adolescent et nous parle de cette période avec le talent que les amateurs des «Cahiers d'Esther» ou de «La vie secrète des jeunes» lui connaissent. De petits détails en grands émois, Riad Sattouf met les deux pieds dans le plat de ce moment charnière de la vie, et dans le drame qui a marqué toute son existence. On pleure comme on rit. On applaudit surtout.

L'arabe du futur, de Riad Sattouf, éd. Allary, 184 p., 22,90€.

Castelmaure de Lewis Trondheim et Alfred

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© Alfred / Lewis Trondheim / Delcourt

Un jeune mythographe parcourt un pays imaginaire à la recherche de mythes et légendes. Bingo, il tombe sur Castelmaure, un lieu maudit chargé de mystères. Entre un roi disparu, une vieille sorcière avide d'yeux de lapins, un château entouré d'une tempête permanente, des siamois diseurs de bonne aventure et un hermite taiseux, tout est réuni pour une bonne histoire à rebondissements. C'est exactement ce que sert Lewis Trondheim qui insuffle son humour caustique à cet album dessiné par Alfred («Le désespoir du singe», «Senso»...). On déguste avec appétit ce conte médiéval pour adultes sorti de l'imagination débordante du maître ès «Donjon». Petit bonus : tout tend à croire que le duo puisse nous resservir d'autres folles histoires avec autant d'aisance joyeuse.

Castelmaure, de Lewis Trondheim et Alfred, éd. Delcourt, 144 p., 18,95€.

Ellis Island de Philippe Charlot et Miras

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© Miras, Philippe Charlot / Bamboo

Avril 1907. Tonio et Giuseppe débarquent sur Ellis Island (l'île reservé aux immigrants), les yeux emplis du rêve américain. Manque de chance, les compères sont refoulés et doivent retourner en Italie. Mais c'était compter sans Vitto, un avocat véreux doté d'un solide réseau. Premier tome d'un diptyque imaginé par Philippe Charlot («Le train des orphelins»), cet album riche d'une solide documentation et d'un scénario subtile, s'avère très éclairant sur l'histoire migratoire des Etats-Unis au lendemain de cette élection historique. Et le trait très réaliste et un brin retro du dessinateur Miras ne gâche rien.

Ellis Island, de Philippe Charlot et Miras, éd. Bamboo / Grand angle, 64 p., 14,90€

La fuite du cerveau de Pierre-henry Gomont

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© Pierre-Henry Gomont / Dargaud

Le 18 avril 1955, le monde perd Albert Einstein. Un certain Thomas Stolz, anatomopathologiste aussi peu passionné par son métier qu'amoureux d'une jeune chercheuse, est chargé d'effectuer l'autopsie du génie. Une idée lui vient alors : et s'il volait son cerveau afin de pouvoir l'étudier (et connaître enfin la gloire) ? Chose étrange : Albert Einstein - dénué de sa matière grise mais doté de sa même intelligence - l'a suivi et lui parle. Poursuivis par le FBI, les deux compères vont partir à la recherche d'un laboratoire discret. Basé sur une affaire réelle de vol prétendu du cerveau d'Albert Einstein, cette «Fuite du cerveau» plaira aux amateurs de comédies d'aventures à rebondissement et de road trip échevelés, où l'amitié se dévoile au gré des obstacles. Un parfait cadeau de fin d'année capable de faire oublier 2020 en quelques minutes.

La fuite du cerveau, de Pierre-Henry Gomont, Dargaud, 192 p., 25 €.

La bête, de Franck Pé et Zidrou

Port d'Anvers, années 1950. Une sorte de grand singe jaune à pois et à la queue démesurément longue s'échappe d'un cargo. Féroce, il termine sa cavale chez François, un jeune garçon, passionné par la faune mais harcelé à l'école car fruit des amours de sa mère avec l'occupant pendant la guerre. La créature mythique de Franquin revient dans un véritable roman graphique de plus de trois cent pages, scindé en deux tomes. Le premier, sorti ce 9 octobre, brille d'abord par le dessin de Franck Pé («Zoo») d'un réalisme à couper le souffle. Loin de la sautillante créature bien connue des lecteurs de Spirou, le marsupilami s'avère ici une bête sauvage traquée et dangereuse, empli d'une solitude qui va trouver écho dans celle du jeune garçon, lui aussi poursuivi pour ce qu'il est. Emouvante, cette histoire d'amitié parvient à garder l'esprit du Marsupilami de Franquin, puisqu'une certaine irrévérence parcourt le ô combien bien ficelé scénario de Zidrou («l'élève Ducobu»). Si le second volume s'avère aussi magistral que le premier, nous pourrions bien être en présence d'un chef-d'oeuvre. Houba !

La bête de Zidrou et Franck Pé, éd. Dupuis, 156 p., 24,95€

«L'âge d'or», de cyril pedrosa et roxanne moreil

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© C.Pedrosa/R.Moreil / Dupuis

Suite très attendue du sublime tome 1, lauréat du prix BD Fnac/France Inter, ce nouveau volume bien garni et toujours signé par le duo Pedrosa-Moreil vient clôre avec majesté les aventures de la jeune Tilda, héritière déchue du trône du royaume de Lantrevers. Alors que sa soif de vengeance et son désir de renverser son frère Ewald, qui a usurpé le trône, l'ont éloignée de ses anciens compagnons, on la retrouve cette fois à la tête de ses troupes, faisant le siège de la forteresse de son frangin prêt à toutes les bassesses... Toute la magie du graphisme imaginé par l'auteur du très remarqué «Portugal» et sa compagne opère à nouveau. Comme dans le tome 1, la tonalité des couleurs suit le déroulement du récit, offrant toujours aux pages des airs de vitraux de cathédrales revisités à la sauce Disney, période Merlin l'enchanteur. Doubles pages stylisées et sans paroles, cases fourmillant de vie et de détails, jeux d'ombre et de lumière, végétation sublimée, effets de surimpression...Le beau volume, dont on se plait à retourner les pages sans fin, reste donc un émerveillement pour les yeux.  

L'âge d'or, tome 2, de Cyril Pedroas et Roxanne Moreil, éd. Dupuis, 192 p., 32 €.

«PUCELLE», de FLORENCE DUPRÉ LA TOUR

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© Florence Dupré La Tour / Dargaud

Nouvelle pièce au puzzle autobiographique de Florence Dupré La Tour initié par «Cruelle» (Dargaud), l'auteur raconte son enfance et adolescence dans sa riche famille catholique entre un père tyrannique face à une mère au foyer effacée. Très loin de la comédie - et pourtant face au grotesque de certaines scènes, on ne peut que rire - , la dessinatrice raconte comment, dans son éducation, le tabou qui pesait autour de la sexualité et du corps de la femme, a pu transformer profondément sa vision de la vie, jusqu'à nier totalement son identité féminine. Si le trait tout en rondeur et en simplicité apparente de Florence Dupré La Tour a quelque chose de rassurant, le propos, extrêmement fort, donne un véritable coup de pied dans la fourmilière de l'éducation des filles.

Pucelle, Tome 1, de Florence Dupré La Tour, éd. Dargaud, 19,99 €.

«peau d'homme», de hubert et zanzim

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 © Zanzim / Hubert / Glénat

Dans l'Italie de la Renaissance, une jeune fille se désespère de ne pas connaître intimement son promis. Travestie en homme grâce à une «peau d'homme» magique, la jeune fiancée va rencontrer, incognito, celui qui va partager sa vie, sans se douter que ce dernier a un gros penchant pour la gent masculine... Le scénario enlevé et fin du regretté Hubert («Miss Patouche») couplé à la grande délicatesse du dessin de Zanzim («L'île aux femmes») font de cet album un objet précieux. Derrière cette histoire de travestissement, Hubert parle de tolérance et de la complexité des rapports humains au delà des genres et de la sexualité.

«Peau d'homme», dans la sélection officielle du Festival d'Angoulême 2021, a déjà été couronné par de plusieurs jurys prestigieux dont le Grand Prix de la critique ACBD, le Prix Landerneau BD 2020, Prix RTL et Prix Wolinski / Le Point.

Peau d'homme, d'Hubert et Zanzim, éd. Glénat, 27 €

Anaïs Nin, de léonie Bischoff

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© Léonie Bischoff / Casterman

Malgré tout l'amour qu'elle porte à son jeune mari, Anaïs Nin s'ennuie dans son rôle d'épouse. Si elle noircit sans arrêt son journal intime, elle peine à se lancer dans le métier d'écrivaine et n'ose faire lire son premier livre à un éditeur. Elle rencontre un jour Henry Miller émerveillé par la jeune femme. Dessinée intégralement au crayon à la mine multicolore, chaque page de cet album est d'une poésie folle. Léonie Bischoff («La princesse des glaces») prend le parti de se baser sur les impressions laissées par le journal intime, ô combien célèbre, de l'écrivaine ainsi que de la correspondance de cette dernière avec Henry Miller. Le résultat est un petit bijou célébrant l'érotisme, la sensualité et le pouvoir de la création.

Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, de Léonie Bischoff, éd. Casterman, 23,50€.

 

Faut pas prendre les cons pour des gens, d'Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud

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© E.Reuzé, N.Rouhaud / Fluide Glacial

Une succession de gags imaginés par Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud qui plairont aux adeptes de l'absurde et de l'humour noir. On avait déjà adoré le premier tome dont le succès n'est plus à démentir, avec plus de 100 000 volumes écoulés en moins d'un an. Ce second opus se montre tout aussi réussi, tant les auteurs ont pris soin de peaufiner les chutes et le décalage entre le style graphique d'Emmanuel Reuzé volontairement retro, les situations et les dialogues. Et au-delà de son indéniable talent, le duo continue de servir une fine satire sociale et de tourner en dérision le quotidien et la bêtise ordinaire avec un aplomb, lui, extraordinaire.

Faut pas prendre les cons pour des gens, d'Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud, éd. Fluide Glacial, 56 p., 12,90€.

Detox, de Jim et Antonin gallo

Portable greffé à la main, le stress comme compagnon de vie, une tension au plus haut et une hygiène de vie catastrophique, l'homme d'affaires parisien qu'est Matthias d'Ogremont coche toutes les cases pour un accident cardiaque à venir... Sauf que ce n'est pas lui que le destin va frapper. Sommé par sa conscience de ralentir un peu, il entend parler d'une cure «detox» à la campagne organisée par la crème des néo-hippies, assez extrêmes dans leurs méthodes de désintoxication digitale. Après un premier tome assez accrocheur, Jim («Une nuit à Rome», «L'invitation») évite l'écueil de la fin «bon sentiment» sur l'urgence à ralentir. Ici, Matthias peine à trouver l'apaisement par la tisane au romarin et le camping au milieu des chèvres. En revanche, il fait la connaissance de plusieurs personnes détruites par le monde moderne, et avance habilement dans sa vision hyper-centrée de la vie. Une parenthèse de réflexion - non dénuée d'humour - sur l'addiction numérique et la déconnexion à la nature. Une lecture parfaite pour les bonnes résolutions de 2021.

Détox, livre 2, de Jim et Antonin Gallo, éd. Bamboo /Grand angle, 88 p., 16,90€.

Fleur de Tonnerre, de jean-Luc Cornette et Jürg

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© Jean-Luc Cornette / Jürg / Futuropolis

Née au début du dix-neuvième siècle en Bretagne, Hélène Jegado, surnommée par sa mère «Fleur de tonnerre», est bercée par les histoires terrifiantes de l'Ankou, sorte de grande faucheuse semant la mort sur son passage. Pour contrer le destin, elle devient alors une véritable tueuse en série. Embauchée comme cuisinière, sa spécialité sera l'empoisonnement. Il faudra attendre 1852 pour que cette dernière soit jugée pour les meurtres de 37 personnes avant d'être guillotinée. Jean-Luc Cornette adapte ici le roman éponyme de Jean Teulé, lui-même basé sur des faits réels. Au final, le trait franc et les couleurs volontairement pauvres choisies par l'auteur belge Jürg parviennent à retranscrire avec brio l'atmosphère chargée de superstitions de la lande bretonne, et sert une adaptation aussi glaçante que réussie du texte de Jean Teulé, à réserver néanmoins aux adeptes de l'humour noir - et assez trash - du romancier.

Fleur de tonnerre, de Jean-Luc Cornette et Jürg, éd. Futuropolis, 120p., 20€.

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