L'exposition «Man Ray et la mode», dont l'ouverture était prévue au musée du Luxembourg le 9 avril dernier, a été repoussée en raison du confinement. Elle ouvre finalement ce 23 septembre 2020 et on l'a visitée.
Figure indissociable des années folles et du surréalisme en particulier, on oublie souvent (voire toujours) que Man Ray, qui se rêvait en peintre, a trouvé la célébrité par le biais de ses photographies de mode et ses travaux de commande.
L'exposition, chronologique, ne s'attarde pas en bavardage et fait entrer le visiteur par les débuts photographiques d'Emmanuel Radnitsky - alias Man Ray - né en 1890, qui rencontra Marcel Duchamp en 1915 avant de s'installer chez l'artiste en 1921.
Naissance de la photographie de mode et des grands magazines
A ce moment là, la photographie de mode n'existe pas ou peu. Elle n'est en tout cas qu'utilitaire, et vient en appui des dessins de mode. Man Ray, pourtant fils de tailleur, n'a d'ailleurs aucunement l'intention de prendre des clichés de mode. Il s'initie à la photo, se tourne d'abord vers les mondanités avant de glisser vers ce créneau.
La militante politique fortunée, Nancy Cunard et l'un des fondateurs du mouvement dada, Tristan Tzara au Bal costumé des Beaumont, 1924 © DR
L'exposition fait découvrir de nombreux clichés de mondanités, où le génie de Man Ray pointe ça et là à travers des représentations de femmes en robes de bal. On découvre même que l'artiste a réalisé un étrange film commandé par Charles de Noailles, sur sa villa de Hyères.
Man Ray effectue nombre de travaux de commandes pour les chroniques mondaines de Vogue, Vanity Fair et Vu, avant qu'Harper's Bazaar en fasse un célèbre photographe de mode. Avant cela, il a l'occasion de photographier de nombreuses élégantes célèbres et quelques personnalités, dont la couturière Coco Chanel ou Lee Miller, correspondante de guerre pour Condé Nast. L'essor de la photographie devient alors si forte que la presse se métamorphose.
A noter que c'est à ce moment là que Kiki de Montparnasse, compagne de Man Ray depuis 1922, pose devant son objectif pour Vogue. Le célèbrissime «Visage de nacre et masque d'ébène» voit notamment le jour. Comment ne pas s'émouvoir devant les lignes du visage d'ébène qui répondent aux traits si fins de la bouche et des sourcils du modèle ?
Publicité et mode, les meilleurs amis
Lydia (Les larmes), 1932 © VJ
Le lectorat des magazines s'élargit peu à peu, la publicité, elle, commence à envahir la presse magazine, en même temps que la photographie s'y développe. On découvre des clichés peu connus de Man Ray comme son travail sur les mains, sur les cheveux ou sur des chaussures ainsi que les célèbrissimes «Larmes» de Man Ray sous un nouveau jour : la photo célèbrissime n'est en fait qu'un détail d'une photo prise par l'artiste pour une publicité pour le mascara «Cosmécil» (vendu comme étant waterproof... d'où les larmes).
Harper's Bazaar, l'apogée d'un photographe de mode
un exemplaire du Harper's Bazaar, 1935 © VJ
Man Ray passe sous contrat avec Harper's Bazaar entre 1934 et 1939. Il peut y affirmer son style et expérimenter bon nombre de ses techniques photographiques sur différents modèles. Etonnante, cette photographie envoyée à la rédaction par bélinographe, un ancêtre du télécopieur. Le résultat - une copie «loupée» - prend au final une dimension artistique exceptionnelle. L'homme s'essaye aussi à la surimpression ou encore à la solarisation, en passant par le grattage et le surlignage en noir.
«Noire et blanche», 1926 © VJ
Au final, cette exposition étonnante sur l'artiste offre un autre regard sur l'essor de la presse dans l'entre-deux guerres, et redonne tout son lustre au travail de commande qui fait naître parfois les plus grands artistes. On s'aperçoit d'ailleurs à quel point Man Ray a réussi à gommer le côté «commande» de son travail au profit du caractère artistique de ses oeuvres. Si on peut regretter le caractère quelque peu linéaire de l'accrochage, il rend néanmoins hommage à l'immense inventivité de Man Ray et son génial coup d'oeil, jamais éloigné de ses amis surréaliste et pourtant bien au-delà de toute époque, de toute mode.
«Man Ray et la mode», du 23 septembre 2020 au 17 janvier 2021 au Musée du Luxembourg