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Rentrée littéraire : les trois raisons de lire «Chavirer», le nouveau roman de Lola Lafon

Avec le roman «Chavirer», Lola Lafon signe un roman choc Avec le roman «Chavirer», Lola Lafon signe un roman choc. [© Lynn SK / Actes Sud]

Avec son nouveau roman, «Chavirer» aux éditions Actes Sud, Lola Lafon crée l'un des évènements de la rentrée littéraire. Trois raisons de se procurer rapidement cette pépite.

L'histoire : en 1984, Cléo a treize ans et une folle envie de devenir l'une de ces danseuses pailletées qu'on aperçoit derrière Michel Drucker dans «Champs-Elysées», émission star que ses parents regardent tous les samedis soirs. Un jour, à la sortie de son cours de danse, situé dans une MJC de banlieue, Cathy, une femme sophistiquée et dynamique, se présente. Elle lui propose de postuler à «Galatée», une mystérieuse bourse, de quoi accéder aux écoles de danse les plus prestigieuses de la planète. Avant cela, Cléo devra passer des entretiens avec un jury. Mais derrière les ors des salons chics du huitième arrondissement où ont lieu ces rendez-vous, ainsi que les cadeaux chics et féminins que lui prodiguent Cathy, se cache une ignoble réalité : un réseau pédophile. Des années plus tard, Cléo s'est accomplie : elle est désormais l'une des silhouettes du programme télé de Michel Drucker ainsi qu'une danseuse d'un célèbre cabaret parisien.

prédation et culpabilité : une réflexion dans le sillage de l'affaire Matzneff et du mouvement #Metoo

Avec cette histoire de prédation sexuelle, l'autrice de «La petite communiste qui ne souriait jamais» s'inscrit cette fois dans le sillage du mouvement #Metoo et du magnifique «Consentement» de Vanessa Springora. Sauf que Lola Lafon choisit la fiction : ce qui lui permet d'aller plus loin, comme faire de la victime aussi une coupable. Cléo n'est pas «juste» une jeune fille prise dans les filets d'un réseau pédophile, elle devient, à son tour, l'un des maillons du système de recrutement des adolescentes et ce, au sein même de son collège. De leur côté, ses parents sans ambition ferment les yeux sur le mal qui ronge leur enfant, et la société toute entière semble ne se soucier que très peu de ces filles anodines comme de ces femmes qui «décorent» les émissions télé et malmènent leurs corps pour arriver à plaire aux téléspectateurs et aux clients des cabarets parisiens.

Paillettes et années 1980, le roman d'une époque

«Chavirer» parlera bien à tous ceux nés avant les années 1990, puisque le roman plonge tout droit dans les paillettes de la télévision reine du samedi et les succès des cabarets parisiens, où les caractéristiques de chacune doivent se gommer au profit du spectacle de corps parfaits. Comment ne pas comprendre une Cléo rongée par la culpabilité et le besoin de disparaître, sans pour autant renoncer à son rêve ? En devenant l'une de ces danseuses, elle répond à ce qu'elle cherche depuis que son adolescence a été piétinée : accéder à tout prix à son rêve, devenir célèbre tout en s'effaçant du monde puisqu'elle ne le mérite pas. Tel un caméléon qui se fond dans ce décor fait de strass, de plumes et de lycras, Lola Lafon coule sa plume avec aisance dans cette société des années 1980 où corps pailletés et femmes aux dimensions parfaites attirent les adolescentes fragiles et fait la joie des prédateurs de tous poils. De quoi faire réfléchir au terreau qui a fait grandir une bonne partie de la population française.

Paris-banlieue : le grand fossé

Au-delà de la dimension #Metoo de ce roman, la romancière traite avec justesse la thématique du fossé entre banlieue et Paris, entre les rêves de célébrité et la simple réalité, entre le fantasme de la danseuse et les souffrances que ces dernières infligent réellement à leurs corps. A peine ébauchée, la famille de Cléo possède déjà toute sa consistance : des parents issus de la classe moyenne collés à leur poste de télévision pour mieux oublier leur condition, des jeunes filles d'un collège quelconque bercées par les tubes des stars du moment et le tout Paris, vu ici depuis son ombre. Ici, pas de présentateurs télé et de véritables vedettes, mais des travailleurs silencieux ou presque : une habilleuse qui n'ose aucun combat de peur de perdre son emploi, une rebelle syndicaliste d'un cabaret ou encore une serveuse d'un troquet parisien qui brille de fréquenter les assiettes des stars. Et si le véritable sujet de ce livre n'était pas tout simplement la lutte des classes ?

Dans une écriture délicate et emplie d'humanité, Lola Lafon brosse un vibrant portrait d'une femme qui, de ses 13 à ses 48 ans, navigue entre les mondes et parvient, au bout de sa souffrance intime, à trouver l'apaisement. Avec une tendresse infinie dénuée de toute complaisance, elle redonne également tout ce qu'il faut de grandeur et de dignité aux plus invisibles. Un texte inoubliable.

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Chavirer, de Lola Lafon, Actes Sud, 20,50€.

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