A l’affiche de la Porte Saint -Martin, Catherine Frot et Vincent Dedienne sont en totale osmose. Parfaitement interprété par deux grands artistes, leur fantasque cadavre exquis divise pourtant. Il y a ceux qui adoreront et ceux qui passeront à côté.
Tout commence par un prologue ou un non-prologue d’une efficacité redoutable. Seul devant le rideau, Vincent Dedienne se lance dans une tirade sur les raisons de l’absence de prologue à ce cadavre exquis, profitant de l’occasion pour donner une définition à ce jeu littéraire, imaginé en 1925 et très apprécié des surréalistes, qui consiste à composer une phrase à partir de mots proposés par des joueurs, dont chacun ignore les mots précédemment écrit, et créant ainsi une suite de termes totalement incongrue : « ça se joue sans carte, sans dés, sans pions et sans logique ». Une entrée en matière jubilatoire pétrie d’humour, qui ne manque pas de faire l’unanimité.
La partie peut débuter. Dans un superbe décor fait de bric et de broc, laissant apparaître les murs bruts et les coulisses du théâtre de la Porte Saint-Martin, Catherine Frot, alanguie sur une méridienne - sa reine comme la prénomme Vincent Dedienne - se lance en chanson : « Moi je m’ennuie » fredonne-t-elle, sur l'air de Camille François. Son fou, Vincent Dedienne, apparaît, tentant de distraire sa reine. « Fais-moi une roulade, un gratin. Raconte-moi un rêve. On fait un jeu : Time's up, Colin Maillard, Mortal Kombat », lâche successivement la comédienne, avant d'entrer dans le vif du sujet.
Boby Lapointe, danse contemporaine, lE DÎNER DE CON... les saynètes s'enchaînent
Dès lors, les saynètes s’enchaînent sans logique, selon le procédé annoncé du cadavre exquis. Pêle-mêle, se côtoieront des chansonnettes de Boby Lapointe ou Léopold de Lima interprétées avec fantaisie par Catherine Frot et accompagnée au piano, des séquences plus théâtrales telles que les confessions d’un alcoolique d'après «La vie matérielle» de Marguerite Duras, un sketch de Pierre Palmade, «Une journée de merde», une embardée délicieusement absurde narrant l’histoire de Marie-Claude et son python, suivi du «Poème à mon frère blanc» de Léopold Sédar Senghor.
Tous les genres sont réunis sur scène. Humour, théâtre, chanson... le duo a pioché ici et là, poursuivant avec un extrait du «Dîner de cons», une chorégraphie contemporaine dansée par Catherine Frot et Vincent Dedienne, soulignant toute la complicité qui émane de leur duo, une reprise réjouissante de «Téléphone-moi» de Nicole Croisille brillamment interprétée par Vincent Dedienne, un moment d'émotion à l'écoute du poème de Jorge Luis Borgès «Tu apprendras», ou encore une série d'hommages aux disparus : Louis Jouvet, Samuel Beckett, Jacques Villeret. Des saynètes qui ne manquent ni d’audace, ni de brio.
Certains adoreront, invoquant, à juste titre, la performance des acteurs, l’audace, l’alchimie qui se dégage de ces deux comédiens impeccables. Encore faudra-t-il, pour les autres, entrer dans ce monde sans queue ni tête, au risque d’être désorientés face à une telle accumulation de scènes, et ce malgré la qualité de ce duo hors pair.
«La carpe et le lapin», actuellement, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris.