Dans le thriller judiciaire «Dark Waters», diffusé ce mardi sur Canal+ à 21h10 dans le cadre du dispositif «Une semaine américaine», le réalisateur Todd Haynes revient sur la lutte contre les polluants chimiques, et dénonce l’un des plus grands scandales de santé publique de ces dernières années. Avec pour acteur principal, l’acteur et militant écologiste, Mark Ruffalo.
Ce film n’aurait jamais existé sans la parution, en janvier 2016, d’un article du New York Times, intitulé «L’avocat devenu le pire cauchemar de DuPont». Le journaliste Nathaniel Rich y relate le combat de l’avocat d’affaires Robert Bilott contre le géant américain de l’industrie chimique DuPont, qui fabrique du Teflon.
Alors qu’il défend les intérêts de multinationales, cet employé du cabinet Taft Stettinius & Hollister, à Cincinnati, est contacté par le fermier Wilbur Tennant, originaire de Parkersburg, en Virginie occidentale. Ce dernier, qui est un ami de sa grand-mère, est persuadé que le puissant groupe DuPont déverse de manière consciente de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) dans les nappes phréatiques, et pollue ainsi l'eau potable. Hautement cancérigènes, ces composés perfluorés se retrouvent par ailleurs dans la fabrication de nombreux produits du quotidien comme les poêles antiadhésives ou les emballages alimentaires. Selon l'article, près de 7.100 tonnes de PFOA aurait été déposées dans le centre d’enfouissement de Dry Run (qui appartient à DuPont) jusque dans les années 1990.
En se rendant sur place, Rob découvre une population au bord du chaos. Les enfants ont les dents noires et font du vélo dans des ruelles désertes, les cas de cancers se multiplient, et les bêtes voient leur pelage couvert de lésions, avant de mourir dans d'atroces souffrances. L’avocat change alors de camp, et se lance corps et âme dans une bataille de grande ampleur face à un mastodonte plus intéressé par les dollars que la santé publique. Rob se donnera pour mission de rendre justice à la famille Tennant, ainsi qu'à l’ensemble des habitants. Quitte à mettre en péril sa vie de famille et sa propre santé.
Les découvertes de ce lanceur d’alerte a passionné Mark Ruffalo. L’acteur de «Spotlight» a décidé de l’adapter sur grand écran, et de produire le film. Pour le réaliser, il se tourne vers Todd Haynes, lui-même «extrêmement choqué» par un tel dossier. «Cette grande entreprise a étouffé l’affaire pendant des années, dissimulant volontairement les effets nocifs de ces produits. Mon plus grand défi avec ce long-métrage était de rester fidèle aux faits et de faire preuve de respect envers chaque personnage en prenant en compte sa singularité, tout en rendant l’histoire accessible et captivante pour le spectateur», précise-t-il.
Une immersion dans le cinéma de dénonciation
Avec cette enquête judiciaire et politique - qui compte aussi Anne Hathaway et Tim Robbins au casting -, Todd Haynes s’essaie donc au cinéma de dénonciation, entre abus de pouvoir et corruption. Une première pour ce fan des «Hommes du président» d’Alan J. Pakula, et de «Révélations» de Michael Mann. Contrairement à ses mélodrames comme «Carol» qui offrent des décors flamboyants et rétro, le cinéaste a cette fois-ci misé sur des tonalités grisâtres et bleutées pour renforcer ce cadre froid et menacé. «L'image apparaît elle aussi comme contaminée, polluée», affirme-t-il. Sans oublier cette fumée qui s’immisce sur la plupart des plans, et le temps qui s’étire comme pour signifier la lenteur des procédures administratives face à l’urgence de la situation.
Alors que le tournage s’est déroulé en plein hiver sur les lieux même de l’action, cette atmosphère anxiogène, ultra réaliste, est amplifiée par le jeu incroyable de Mark Ruffalo. Sensible aux problèmes écologiques, il a rencontré à plusieurs reprises Robert Bilott pour cerner son caractère, et comprendre tous les aspects juridiques, ainsi que l’impact qu’a eu cette affaire dans sa vie personnelle et auprès de ses confrères. «Mark a été jusqu’à reproduire la gestuelle de Rob. Son costume semble peu à peu l’étouffer. Il ne sourit jamais, s’isole. Plus l’histoire prend de l’ampleur, plus son espace de liberté est restreint. Ses mouvements sont limités», déclare Todd Haynes.
Ce combat de David contre Goliath a été présenté au Parlement européen à Bruxelles au début du mois de février 2020, en présence de l’équipe du film et de l’avocat Robert Eliott.
L'acteur au Parlement européen à Bruxelles, le 5 février 2020 [© Kenzo TRIBOUILLARD/AFP]
Mark Ruffalo, qui a par ailleurs créé, en 2011, «Water Defense» pour sensibiliser la population aux conséquences de l’extraction d’hydrocarbures sur l’eau, a rappelé que «Dark Waters» devait «contribuer à éduquer les gens». «Cela a été difficile pour nous de faire bouger les choses au niveau fédéral, même avec ce film. Donc les gars, vous êtes les héros désormais, vous devez être des héros», a scandé l’acteur qui lutte aussi contre le gaz de schiste.