Auteur prolifique et salué par la critique, Inio Asano compte parmi les invités d'honneur du Festival BD d'Angoulême. A 39 ans, l'auteur de Bonne Nuit Pun Pun et Dead Dead Demon's Dededededestruction, aux éditions Kana, est plus que jamais un mangaka en vue.
Nous avons pu le rencontrer alors qu'il voit éditer en France une anthologie (recueil d'histoires courtes inédites) et rééditer Un monde Formidable, sa toute première série, dessinée lorsqu'il avait 22 ans. Véritable génie du dessin, Inio Asano pose avant tout un regard à la fois cynique et empreint de poésie sur la société japonaise.
Quel regard posez-vous sur le Japon aujourd’hui ?
Jusqu'à présent mes mangas étaient axés sur des personnages qui avaient le même âge que moi, avec de nombreux thèmes qui y sont liés. Mais en avançant dans l'âge, il m'arrive de plus en plus de traiter des sujets plus sociétaux (comme dans l'Anthologie parue aux éditions Kana) où je traite notamment du vieillisssement de la population, qui est une particularité de notre pays, que je trouve un peu inquiétante.
Cela m'interpelle car moi aussi je vieillis. Dans l'anthologie une histoire courte, Tempest, traite de cette problématique. Lorsque je dessine un manga je prends toujours soin de ne pas raconter l'histoire d'un seul point de vue. C'est le cas ici, où l'on voit que les jeunes ont tendance à être très virulents sur les réseaux sociaux envers les personnes âgées, il y a une espèce de haine envers la vieillesse. Toutefois pensent-ils au fait qu'un système qui serait défavorable aux personnes âgées pourrait se retourner contre eux lorsqu'eux aussi vieilliront ?
ASANO INIO TANPENSHU BAKEMONO RECCHAN / KINOKOTAKENOKO ©2018 Inio ASANO/SHOGAKUKAN
On vous définit souvent comme un auteur hors-normes, mais comment définissez-vous votre travail et que tentez-vous d’apporter au manga ?
Lorsque j'étais plus jeune, j'aimais lire des mangas qui n'étaient pas conventionnels. Ce qui m'a beaucoup influencé. Toutefois, j'ai aussi conscience que je ne pourrais pas vivre de mon travail si mes œuvres ne se vendaient pas. Donc, j'ai toujours essayé de réfléchir au fait de pouvoir vendre des œuvres qui ne sont pas grand public.
Pour moi, le rôle du manga est de représenter ce qui se passe dans la société, à un instant T. Par exemple, j'aime beaucoup les Yonkoma [NDR : de courtes BD en trois ou quatre cases publiées dans les quotidiens japonais, équivalents des comics strips] car il s'agit d'histoires très réactives, qui rebondissent sur l'actualité avec humour. Toutefois, ce rôle a d'une certaine manière été pris par les réseaux sociaux aujourd'hui. Donc mon travail est de réfléchir à donner un nouveau rôle au manga parmi tous ses nouveaux médias.
J'essaie de capter l'air du temps et de trouver le bon timing pour publier mes œuvres.Inio Asano
La sexualité, le vieillissement de la population, le rapport au travail, la politique… Vous décrypter toujours diverses facettes de la société japonaise. Comment choisissez-vous vos sujets ?
Certains thèmes que j'aborde m'ont toujours intéressé. J'attends souvent le bon moment pour m'exprimer dessus. Pour d'autres sujets, comme celui de la vieillesse, je me suis dit que si je ne le dessinais pas maintenant, la façon de voir les choses aurait sans doute évolué par la suite. Très souvent, j'essaie donc de capté l'air du temps, de trouver le bon timing.
ASANO INIO TANPENSHU BAKEMONO RECCHAN / KINOKOTAKENOKO ©2018 Inio ASANO/SHOGAKUKAN
Ce sont d’ailleurs des sujets qui décryptent la société japonaise, n’êtes-vous pas surpris que vos histoires dépassent les frontières et intéressent même les lecteurs français ?
Effectivement, j'en suis le premier surpris et je suis même étonné de continuer à avoir du succès à l'étranger. D'ailleurs je pose la question aux lecteurs français, expliquez-moi ce qui vous plaît dans mes mangas ? J'ai un point de vue assez décalé par rapport à la société et je suis un peu cynique. Cette approche doit sans doute parler à un certain nombre de personnes qui ne sont pas japonaises. Je prends l'exemple de la musique Metal qui bien que marginale continue d'avoir du succès à travers la planète, malgré les années.
Quelle vision avez-vous de la France ? Avez-vous lu des auteurs de BD ou des artistes français et vous ont-ils influencés ?
Même au sein de l'Europe, la France m'apparaît comme un pays qui a une grande affinité avec l'art. Avant de venir ici, j'ai déjà une idée de votre pays qui a une place spéciale dans le cœur des japonais. Je suis même très content de venir enfin découvrir la France.
Je connais quelques auteurs, même si j'avoue que j'en ai plus vus que lus, notamment Moebius (Jean Giraud) très connu au Japon. La BD est surtout pour moi plus connue pour la qualité des dessins, avec un niveau de finition assez élevé.
Vous avez développé un style réaliste tout en pensant vos planches comme une poésie, avec des cases souvent très fouillées et délicates ? Comment travaillez-vous ?
A la base, je ne suis pas un grand fan de manga et j'avais envie d'exprimer artistiquement les choses autrement. Or, lorsque j'ai commencé, la première façon de toucher le public et de trouver un revenu est passé par ce support. En réalité, je n'ai pas réellement le besoin d'exprimer mes idées en répondant aux codes du manga, mais il me fallait être capable de créer quelque chose qui se vende. A partir de là, tout mon travail a été de concilier ces deux aspects.
ASANO INIO TANPENSHU BAKEMONO RECCHAN / KINOKOTAKENOKO ©2018 Inio ASANO/SHOGAKUKAN
Il y a plus de 20 ans, lorsque j'ai commencé à dessiner des mangas, j'avais découvert le travail de Frédéric Boilet (auteur de BD et photographe) et jamais beaucoup son style qui se basait sur des photos pour réaliser ses planches. Je me suis alors rendu compte que c'était une manière de travailler intéressante. Au fond, le manga, qui est découpé en cases et en bulles, permet aussi de travailler ainsi. Ça m'a permis d'être plus libre dans mon approche de ce média.
Je ne basculerai probablement jamais vers l'animation.Inio Asano
Vous aimez également jouer avec des effets de perspectives. Il y a une dimension proche de l’animation, même si vous jouez beaucoup avec les ellipses, aimeriez-vous diriger un animé ?
L'animation ne m'intéresse pratiquement pas. Je travaille d'abord en commençant par prendre des photos dans des angles qui m'intéresse et c'est seulement à partir de ces images que je me demande ensuite si je peux en faire quelque chose. Comme je travaille dans cet ordre là, je ne m'interroge pas sur la manière d'animer les événements. L'idée est pour moi de figer le temps. Bien sûr, il serait possible de traduire mes planches sous formes d'animés, mais l'animation me demanderait de m'entourer de beaucoup plus de personnes pour produire une œuvre. Or, je n'ai pas envie d'entraîner avec moi plus de gens que les assistants que j'ai actuellement. Je ne basculerai donc probablement jamais vers l'animation.
ASANO INIO TANPENSHU BAKEMONO RECCHAN / KINOKOTAKENOKO ©2018 Inio ASANO/SHOGAKUKAN
A l’image de Bonne Nuit Pun Pun ou DDDD, vous vous lancez souvent avec succès dans des séries plus longues, tout en alternant avec des one-shots. C’est votre manière de garder une distance dans votre travail, de ne pas tomber dans une forme de routine et de chasser le spleen que vous décrivez dans Errances ?
Fondamentalement, je me considère comme un auteurs d'histoires courtes, de one-shot. Mais quelque part, dans le marché actuel, il est difficile de ne faire que ça. Pour continuer à exister, je suis obligé de faire des séries plus longues. J'adapte donc mes envies pour en réaliser. Si l'on prend le cas de Bonne Nuit Pun Pun, j'ai créé un héros à l'allure très simplifiée pour tenir le rythme d'une série hebdomadaire sans trop de difficulté. Avais-je envie de faire ça ? C'est une autre question. Je suis obligé de m'adapter.
Inio Asano Anthology et un Monde Formidable - intégrale -, éd. Kana.