Avec «Chemins de traverse», une très belle rétrospective de son œuvre à Angoulême pour ce 47e Festival International de la BD d'Angoulême, la dessinatrice Catherine Meurisse crée l’un des événements de cette édition. Rencontre.
Une œuvre aussi variée que pleine de subtilités. L’auteure des «Grands espaces», «Le pont des arts» ou encore son récent «Delacroix» (Dargaud) n’est pas femme à rester dans la case qu’on lui attribue trop facilement, celle de rescapée de l’attentat contre Charlie Hebdo.
A 39 ans, elle est la première dessinatrice de BD à entrer à l’Académie des Beaux-Arts, faisait partie du tiercé final pour devenir Grand Prix de la Ville d’Angoulême cette année, a dessiné une des trois affiches du Festival de BD et outre sa grande exposition au Musée du Papier de la ville, elle se paye le luxe d’être choisie comme l’une des marraines de «BD2020», événement organisé par le ministère de la Culture.
Une année de la BD et un mois de janvier très Meurisse
«Tout s’est passé en même temps, c’est un peu une coïncidence heureuse», tempère-t-elle avec humilité et les yeux rieurs.
Au sujet de l’année de la BD, la dessinatrice affiche sa solidarité avec tous les créateurs de BD qui demandent à acquérir une véritable reconnaissance et une rémunération digne de leur travail. «Je voudrais surtout que ce soit l’année des autrices et des auteurs. Car sans créateurs, il n’y a pas de bandes dessinées. C’est une occasion unique et déterminante. Il faut se saisir de cette année pour faire avancer et faire évoluer concrètement la situation des auteurs. Nous sommes plutôt mobilisés pour se faire entendre», explique l’ancienne dessinatrice de presse. «Si le ministère de la Culture et l’État ratent ce rendez-vous, c’est vraiment grave pour les auteurs. Si l’on ne change rien à leur statut, à terme, tout le système éditorial va s’écrouler. C’est complexe mais indispensable», ajoute-t-elle.
Ce vendredi 31 janvier, une bonne partie de la profession a d’ailleurs manifesté à Angoulême et un peu partout dans le pays pour appeler le gouvernement à agir, même si jeudi soir, en visite en terres charentaises, le Président de la République s’est déjà engagé à agir en leur sens.
De Delacroix à Tomi Ungerer
Une large rétrospective se penche sur l’art de Catherine Meurisse, de manière chronologique. De quoi découvrir ses inspirations grâce à certains dessins exposés de Sempé, Quentin Blake, Tomi Ungerer ou encore plus tard Gotlib et Claire Bretécher. Ce qui n’a pas empêché la jeune femme, passionnée d’arts comme de littérature, de puiser un peu de son talent auprès des grands maîtres, notamment ceux du XVIIIe et XIXe siècle. «Avec mon album « Moderne Olympia » (Futuropolis) qui était une commande du musée d’Orsay, je me suis amusée à reprendre des tableaux extrêmement kitsch du XIXe siècle. Ce n’est pas pour autant que je n’ai pas un profond respect pour ces peintres», note-t-elle.
Chez Catherine Meurisse, l’hommage n’empêche jamais le sourire : «Tout en riant, je déclare ma flamme à ces artistes qui m’inspirent et me permettent d’améliorer mon trait».
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L’époque Charlie Hebdo et la reconstruction
Fait marquant lors de la visite presse de son exposition : au moment où la dessinatrice se poste devant les unes de Charlie Hebdo, beaucoup de journalistes, jusque-là plutôt sages, se pressent devant l’artiste et font chauffer leurs flashs. De quoi agacer la dessinatrice qui ne souhaite plus être cantonnée à cette fameuse case de «rescapée de Charlie Hebdo». «Charlie est bien entendu très important dans mon parcours. Avant et pendant que je collaborais à Charlie, j'ai aussi collaboré à de plusieurs titres de presse, rappelle-t-elle. Mais dorénavant, je ne veux plus faire de dessins de presse. Il va falloir que je fasse encore plusieurs albums avant que certains journalistes ne cessent de me mettre dans la case rescapée», explique-t-elle en colère.
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De son époque «Charlie», l’exposition montre de nombreux dessins très drôles signés de l’auteure, qui font face à quelques reportages plus sérieux effectués, comme celui à Sangatte au côté de la journaliste Agathe André.
«Ce fut un choc. En bossant à Charlie, j’ai appris à regarder le monde. Ça m’a rendu curieuse. Je leur dois beaucoup». Le public passe ensuite par un passage au travers d'un mur, symbolisant l’attentat, comme signe de l’indicible. Ce dernier précède des planches de son album «La légèreté» (Dargaud), tiré d’un carnet que la dessinatrice a rempli durant les mois qui ont suivi le massacre. «Tout se désagrégeait, j’ai fait un véritable travail de rassemblement avec ce carnet», objet qu’elle n’a pas voulu exposer directement, on le devine, par pudeur.
Nature, littérature et art
L’exposition se conclue par deux de ses récents livres : «Delacroix» et « Les Grands espaces » (Dargaud), dans lequel l’auteure raconte son enfance à la campagne et son «plaisir de grandir auprès des arbres».
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La petite fille rêveuse qu’elle était aimait déjà les grands artistes et notamment ceux qui représentaient la nature. «Je les considère comme une nourriture spirituelle depuis toujours». Pour ses projets à venir, rien ne sera dit.
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«On est surpris de voir comme les livres peuvent parler de nous. C’est quand ils sortent que je me rends vraiment compte de ce qu’il y a dedans», explique-t-elle, sourire en coin et humilité sincère. Une marque de fabrique qui ajoute encore un peu de valeur à son immense talent.