Avec l’ouverture du 47e Festival de la BD d’Angoulême le 30 janvier, débute l’année de la BD et de multiples questions pour beaucoup d’auteurs du neuvième art – secteur jeunesse compris - qui revendiquent plus de reconnaissance et une meilleure rémunération afin de pouvoir vivre de leur art.
Alors que les créateurs de BD espèrent beaucoup du coup de projecteur donné par le Festival sur la trop grande précarisation des auteurs au cœur d’un secteur pourtant en pleine croissance, la présidente du jury Jeunesse et Jeunes adultes du Festival International de BD d'Angoulême 2020, Dorothée de Monfreid, a pris les devants dans le chemin de la reconnaissance du secteur jeunesse, le parent pauvre de la littérature et du neuvième art.
Ainsi, l’auteure des séries à succès « Les toutous » ou de «Coco» a remanié en profondeur le fonctionnement du jury Jeunesse. Une action de l'intérieur qui va de pair avec le besoin de reconnaissance des auteurs de BD et plus particulièrement les créateurs de livres jeunesse. Rencontre avec une femme de convictions.
Le jury Jeunesse était auparavant composé d'enfants. Présidente cette année, vous l'avez entièrement remanié en le professionnalisant. Racontez-nous.
Il y a trois et deux ans, j'ai fait partie du comité de sélection jeunesse, une nouveauté alors puisqu'auparavant, il n'y avait pas de comité détaché à la jeunesse. Il y avait tellement de livres à lire que la jeunesse passait bien souvent après le reste et faisait figure de cinquième roue du carrosse. Pendant ces deux années, outre le fait d'avoir adoré lire et débattre des livres avec les autres membres du comité, j'ai demandé plusieurs fois à Stéphane Beaujean (directeur artistique du FIBD, ndlr) de modifier ces prix. Qu’un jury d'enfants choisisse les Fauves parmi les livres sélectionnés s'apparentait davantage à un prix du public qu'à un prix professionnel. Je ne voyais aucune raison de faire de différence entre les prix adultes et les prix jeunesse. Même si le festival œuvre beaucoup pour la jeunesse depuis quelques années, il me semblait que c'était un pas supplémentaire à faire pour donner du crédit, de la légitimité aux livres et aux auteurs, afin de permettre aussi une meilleure diffusion des livres. Cette année, Stéphane Beaujean a décidé d'opérer ce changement et m’a demandé de présider le jury par la même occasion.
En tant que présidente du jury, qu'est-ce que vous attendez d'un album jeunesse ?
Je ne peux m'empêcher de décrypter les livres avec un regard d’auteure, mais j'ai cette fois une responsabilité en plus. Chaque membre du jury possède un métier et des références différentes (ce jury est composé d'un libraire, de deux auteures, d'un réalisateur, d'un directeur de l'animation et d'une journaliste, ndlr), je vais tout faire pour qu’on parvienne à parler ensemble, de manière libre, sans partis pris, sans entre-soi, sans cynisme et sans se positionner au-dessus des enfants lecteurs.
Ce qui m’importe beaucoup – et ce n’est pas vrai que pour ce jury – c’est d’aborder la littérature et la BD jeunesse en dehors de l’unique prisme pédagogique, qui souvent est le seul qui est valorisé. C’est une approche qui peut être intéressante mais ce n’est absolument pas la seule pour aborder l’enfance. Je n’attends pas qu’un livre réponde à un programme. Une qualité compte par-dessus tout : que ce soit vivant. Je suis très attachée à la rigueur du scénario. Je ne me laisse pas avoir par un graphisme séduisant si le propos n’est pas à la hauteur. Je vais essayer de faire en sorte qu’on regarde des livres à hauteur d’enfant, on ne va pas jouer à être des enfants mais se positionner en tant que camarade pour les enfants.
Vous dites que la littérature et la BD Jeunesse sont un peu la cinquième roue du carrosse. Est-ce que c’est toujours aussi vrai en 2020 ?
Pour moi, les meilleurs livres sont ceux qui peuvent être lus par les enfants et par les adultes. Mais il se trouve qu’il y a des hiérarchies et qu’elles sont bien installées. J’espère que par des petites actions, on va arriver peu à peu faire évoluer les mentalités dans le bon sens, mais cela prend du temps. On voit bien que la presse parle moins de la littérature et de la BD Jeunesse, que les auteurs sont moins payés et moins considérés. Beaucoup n’ont pas conscience de la part intellectuelle d’un livre pour les très jeunes. Et malgré tout ce qu’on peut faire, cette tendance reste.
Les auteurs se plaignent de ne pas être considérés et sous-payés. Est-ce que c’est encore plus vrai chez les auteurs jeunesse ?
Cela dépend si on parle de BD ou des albums jeunesse. En BD, les temps de travail sont plus longs alors qu’écrire et/ou dessiner des albums jeunesse classiques paye mal mais au moins on passe moins de temps sur chaque livre. En jeunesse, comme on n’a pas de reconnaissance, il est encore plus difficile d’arriver à des meilleures avances. Si on compare deux bandes dessinées comparables (à peu près le même nombre de pages, format, temps de réalisation, taille de la maison d’édition qui les publient, notoriété de l’auteur dans son domaine), l’une pour enfants, l’autre pour adultes, l’avance que recevra l’auteur jeunesse pour son album sera en moyenne deux fois moins importante que celle que recevra l’auteur adulte, et cela peut même être trois fois moins. C’est juste une moyenne que je déduis de mon expérience, et non une étude scientifique de la chose. Ces différences peuvent être plus ou moins importantes selon les maisons d’édition. Cela vous donne néanmoins une idée concrète des questions financières auxquelles nous sommes confrontés en jeunesse.
Pendant le festival, vous allez participer aux actions prévues comme celle de stopper les dédicaces vendredi 31 janvier par exemple ?
Je vais peut-être participer à quelques actions mais je ne sais pas encore vraiment quoi. En fait, j’ai un tempérament de franc-tireur, je ne suis pas très grégaire. Mais tout ça est très important et cette année, comme c’est l’année de la BD et que des politiques vont se déplacer, c’est le moment ou jamais de faire passer des messages, je me sentirai partie prenante de tout ça. Pour les questions d’action, j’aime à travailler de l’intérieur. Je fais par exemple partie d’une commission à l’ ADAGP, pour laquelle on travaille pas mal sur ce genre de questions, comme dernièrement la revalorisation d'un prix dernièrement et l'amélioration des pratiques des salons et des festivals jeunesse. Ce sont des petites choses à ajouter à nos actions collectives.
Vous préférez l’action par petites touches que les coups d’éclat ?
En fait, je ne m’exprime pas sur ce que je ne maîtrise pas. Je n’aime pas les opinions toutes faites. En revanche, quand je connais un sujet et qu’il me tient à cœur, je le défends jusqu’au bout. Faire passer une idée, voir qu’on arrive à faire évoluer une situation, de manière positive, je trouve ça très satisfaisant.
Quel serait votre conseil à un jeune auteur qui rêverait d’être édité ?
Je lui dirais de ne pas trop se dépêcher, de prendre le temps de mûrir ce qu’on fait pour ne pas regretter plus tard et puis travailler avec des gens enthousiastes.
Outre la présidence du Jury Jeunesse au 47e Festival International de BD, Dorothée de Monfreid tient le blog Ada&Rosie et finit un prochain album des « Toutous » pour l’automne 2020 (« Docteur Popov » à L’Ecole des loisirs).