Double actualité pour Christophe Arleston : le lancement de «Drakoo», sa maison d’édition, et la sortie du premier tome de « Danthrakon », une série d’Héroïc Fantasy dont il signe le scénario. Nous avons rencontré l'auteur de Lanfeust et le plus célèbre des scénaristes français du genre.
Qu’est-ce que « Drakoo » ?
Christophe Arleston : C’est une maison d’édition qui a été montée avec le support des éditions Bamboo. Ils n’avaient jusque-là jamais exploré le domaine des imaginaires, de l’Heroic fantasy, la science-fiction, le steam punk, les histoires féeriques, etc... Olivier Sulpice m’a proposé de monter ensemble une maison d’édition et pour laquelle j’aurais carte blanche en profitant de tous les moyens techniques de Bamboo.
Cela correspond-il à un besoin de transmission ?
Ce travail de direction éditoriale, je l’ai toujours plus ou moins fait avec «Lanfeust Mag», c’est une continuité. «Lanfeust Mag» s’arrêtant, j’ai accepté.
Après avoir été journaliste puis scénariste, cela me semblait naturel d’allier la BD à un journal, je l’ai d’ailleurs fait pendant vingt ans. Aujourd’hui j’ai l’impression d’une grande continuité dans le fait de passer du journal à l’éditorial. En parallèle, je continue à raconter des histoires. Ce n’est pas dans mon caractère d’être un auteur tout seul enfermé chez lui. J’aime les groupes, les bandes, les aventures collectives.
Pour vous, la BD est-elle un métier collectif ?
Il y a quelques rares «auteurs complets» formidables. Mais très souvent, la BD reste un métier de collaboration où l’histoire du scénariste va être portée, interprétée par le dessinateur, un peu de la même manière que les comédiens vont interpréter le scénario d’un réalisateur. On est obligés de se confronter au regard de l’autre sur notre travail. J’ai voulu dessiner pendant longtemps, Lewis Trondheim m’avait même incité à le faire ! En réalité, je me suis rendu vite compte que j’avais besoin du crayon du dessinateur.
Comment sélectionnez-vous les œuvres à publier ?
Je suis scénariste et pour moi, un bon livre est une bonne histoire avant tout. J’ai pris le parti de construire ma colonne vertébrale de ma maison d’édition avec des romanciers qui n’avaient jamais fait de BD, généralement des écrivains de fantasy, jeunesse, des écrivains de genre… voire de «mauvais genre» ! Et ce sont souvent les plus intéressants, comme Pierre Pevel, Olivier Gay ou Gabriel Katz, des gens qui collectionnent les prix et ont un public.
J’ai juste eu à leur apprendre à faire de la BD. Et cela se fait rapidement à chaque fois car sont des pros de la narration. Il fallait trouver un peu de sang neuf, renouveler le sérail de scénaristes. Ce n’était pas la peine de monter une maison d’édition pour y retrouver les mêmes personnes. D'autre part, ces auteurs sont d’une génération ouverte à la BD. Il y a eu une période où les gens qui écrivait de la littérature, même de genre, regardaient avec mépris les auteurs de BD.
Vous trouvez que le regard sur la BD a changé ?
Oui, aujourd’hui, les auteurs de BD ne sont plus les pestiférés qu’ils ont été dans les salons. Il n’y a plus cette prétention élitiste qu’il pouvait y avoir à une époque. Aujourd’hui, la BD fascine les auteurs qui fantasment tous de voir leur histoire en images. Pour beaucoup d’auteurs, faire de la BD, c’est faire du cinéma sans avoir toutes les contraintes du cinéma.
Et vous, vous n’aimeriez pas passer derrière la caméra ?
Pas du tout ! J’ai eu une brève expérience du cinéma lorsque les gens d’UGC m’ont demandé au début des années 2000 d’écrire un Lucky Luke dans lequel Jamel Debouzze devait jouer Joe Dalton. Pendant quelques mois, j’ai travaillé là-dessus et j’ai vu à quel point le cinéma est peuplé de gens qui donnent leur avis sur tout alors que j’ai l’habitude d’être aux commandes d’une histoire.
Contrairement aux États-Unis, en France, le scénariste n’est pas pris au sérieux. Riad Sattouf ou Joann Sfar sont devenus réalisateurs pour pouvoir exprimer ce qu’ils veulent. Mais devenir réalisateur induit de prendre un an ou deux ans de sa vie pour se consacrer au film. Je fais plusieurs bouquins par an et je suis engagé avec plusieurs éditeurs. Je ne peux pas mettre tout de côté parce que j’ai un film à faire.
Les séries à venir chez Drakoo sont toutes composées au maximum de trois tomes. Vous comptez ne faire que des mini-séries ?
Pour le moment, l’idée est de partir sur des histoires fermées au cas où le public ne suit pas. Mais pour la plupart des séries, nous avons gardé une structure permettant d’avoir d’autres développements.
Danthrakon était dans vos valises depuis longtemps ?
Quelques années en effet. Souvent je laisse longtemps traîner des ébauches d'histoires, d'univers, dans mes tiroirs, puis à un moment donné, je rencontre quelqu’un et j’ai envie de concrétiser mon histoire avec cette personne. C’est ce qui s’est passé avec Olivier Boiscommun. Je l’ai croisé dans un salon à Nîmes, il venait de terminer un projet, je lui ai raconté mon histoire et on a démarré très vite Danthrakon.
Vous vous verriez un jour déléguer votre travail de scénariste sur l’une de vos histoires à quelqu’un ?
A une époque, je coécrivais beaucoup mais je me suis rendu compte que j’étais très directif, que je laissais souvent à l’autre le travail ingrat. Je suis un «control freak» et je m’en voulais à chaque fois. Déléguer mon univers, j’en serais bien incapable.
Vous avez un ordre d’idées quant au nombre d’albums que vous allez publier chaque année ?
En 2020, nous avons prévu une grosse dizaine de parutions mais, à plus long terme, nous n’avons pas encore de planification. Olivier Sulpice est d’accord avec moi : nous ne sommes pas là pour faire du volume, tuer les arbres inutilement. On imprimera les livres qui valent le coup. En tant que fondateur du syndicat des auteurs de BD et fondateur de la ligue des auteurs professionnels, je lutte contre la surproduction des certains éditeurs donc je ne vais pas aller à l’encontre de mes convictions.