L'Amélie Nothomb nouveau est sorti en août dernier. Un goût de cerise ? Un bon retour en bouche ou une certaine amertume ? Que l'on aime ou pas les écrits de la dame au chapeau, le moins que l'on puisse dire c'est qu'Amélie Nothomb livre, avec «Soif», un nouveau roman de haute volée. L'Académie Goncourt ne s'y est pas trompée en la sélectionnant dans le dernier carré pour la victoire finale, aux côtés de Jean-Luc Coatalem, Olivier Rolin, et Jean-Paul Dubois.
Tout commence par le titre. Un titre bien senti, court comme un pied de nez à la mode des titres à rallonges, et surtout universel : «soif». De là à boire les paroles d'Amélie Nothomb et recevoir ses mots comme paroles d'évangile ? Pas loin, puisque la plus belge des auteures à succès s'amuse avec les derniers instants du Christ et livre un très court roman aux accents philosophiques indéniables. Certains s'offusqueront certes qu'Amélie Nothomb puisse avoir le culot de faire parler à la première personne Jésus-Christ. Et pourtant, de cette liberté peut aussi jaillir quelques réflexions passionnantes.
Petit rappel pour les non initiés : le récit débute dans la cellule du fils de Dieu après son procès expéditif qu'il raconte d'ailleurs plutôt rapidement. L'homme fait alors l'expérience de la solitude au fond de sa minuscule cellule et repense à sa vie en attendant d'être crucifié dès le lendemain. Après une nuit à étrangement bien dormir, le Christ entame alors son calvaire. Il devra porter sa croix, supporter tant bien que mal la souffrance inouïe qu'on lui impose et enfin mourir (avant de rescussiter dans la suite du court roman). Avant cela, le lecteur découvrira pour la première fois un Jésus-Christ humain qui la veille de sa mort, à la tombée de la nuit, se souvient comme il a aimé dormir durant son existence, comme il a d'ailleurs apprecié les plaisirs simples de l'existence, loin de l'image d'ascète et de sacrifice que l'on peut avoir du Christ.
Lors de son calvaire, il abordera également des sujets très «Nothombiens» : l'amour et les questions charnelles. Quelle que soit la volonté de l'auteure - provocation ou simple conviction - , certains seront outrés de lire quelques passages sur son histoire d'amour supposée avec une Marie-Madeleine solaire ou sur ses rapports un brin compliqués avec son propre père, Dieu. De la figure du martyre, Amélie Nothomb fait le choix de s'éloigner pour faire place au récit d'un homme qui face à la souffrance, se sent abandonné par son créateur.
Se rapprocher de l'humain
Si quelques passages de l'évangile sont ici remis en question, l'écrivaine ne semble pour autant pas avoir de velléité de scandale mais une volonté de se rapprocher de l'humain que fut avant tout ce Jésus de Nazareth. La romancière n'épargne d'ailleurs pas le lecteur lorsque Jésus-Christ doit supporter le poids de sa croix, la douleur des clous, les coups de fouet des soldats, le vinaigre qu'il boit, sans oublier la vision de sa propre mère qui souffre presque plus que son fils mourant.
Au final, Amélie Nothomb sert une solide réflexion sur la condition humaine, dans ce qu'elle a de plus charnel, de la douleur à la soif en passant par la passion amoureuse. Qu'est-ce qu'un homme s'il n'éprouve pas l'expérience du corps ? Comment comprendre l'être humain si l'on est dénué d'enveloppe charnelle ? N'abandonnant aucunement son style corrosif, l'auteure de la « Métaphysique des tubes » livre un véritable OVNI littéraire qui s'adresse à tous. Un cru Nothomb 2019 aussi savoureux que piquant.