Le jury du prix Régine Deforges, qui récompense un premier roman écrit par un auteur francophone, a révélé les noms des huit finalistes en lice pour le titre. Retour sur les romans sélectionnés pour cette quatrième édition, dont le lauréat sera officiellement annoncé le 2 avril en amont du Salon Lire à Limoges.
À la ligne de Joseph Ponthus
©La Table ronde
Lauréat du Grand prix RTL/Lire à 40 ans pour son premier roman «A la ligne» (éd. La Table ronde), l’écrivain Joseph Ponthus signe une récit puissant tiré de son expérience personnelle. Construit sans ponctuation, son texte relate le quotidien d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons.
Jour après jour, il inventorie avec précision les gestes du travail à la ligne, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, et la souffrance du corps. Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, son roman se lit comme un chant ou un poème enragé sur la condition ouvrière, en faisant entendre la voix de ceux qui en sont le plus souvent privés.
À la ligne, Joseph Ponthus, éd. La Table ronde.
San Perdido de David Zukerman
©Calmann-Lèvy
Successivement ouvrier spécialisé, plongeur, contrôleur dans un cinéma, membre d’un groupe de rock, comédien et metteur en scène, David Zukerman est également un homme de plume. Il a écrit une quinzaine de pièce de théâtre et quatre romans qu’il n’a jamais voulu envoyer à son éditeur, avant «San Perdido» (éd. Calmann-Levy), l’histoire d’un orphelin muet qui n’a pour seul talent une force singulière dans les mains.
Il va pourtant survivre et devenir une légende. Dans cette petite ville côtière du Panama, cet enfant mystérieux, venu de nulle part, endossera le rôle de justicier silencieux au service des femmes et des opprimés et deviendra le héros d’une population jusque-là oubliée de Dieu.
San Perdido, David Zukerman, éd. Calmann-Levy.
Les photos d’un père de Philippe Beyvin
©Grasset
A 14 ans, en 1984, le narrateur, Thomas Bentley, apprend de sa mère que son père selon l'état-civil n'est pas son père naturel. Secoué par cette révélation, il va se lancer d'abord dans des rêveries et des questionnements longtemps stériles, avant d’entamer une véritable enquête qui le conduira jusqu'en Asie.
Là-bas, il apprend que son père, français d'origine arménienne, fils d'un résistant victime des nazis, photographe de guerre durant la guerre du Vitenam, a disparu en 1970 au Cambodge. Petit à petit, le narrateur remonte dans le temps et découvre la personnalité complexe de ce père, témoin fasciné des convulsions de la seconde moitié du vingtième siècle.
Les photos d’un père, Philippe Beyvin, éd.Grasset.
La fiction ouest de Thierry Decottignies
©Le Tripode
Avec «La fiction ouest», qui n’est pas sans rappeler «La Colonie pénitentiaire» de Kafka, ou «W» de Perec, Thierry Decottignies fait partager aux lecteurs les sensations d’un homme esseulé qui, jeté dans un univers où règne la folie et l’oppression, perd progressivement tous ses repères.
Envoyé à Ouest, un parc d’attractions d’un genre nouveau censé lui procurer du travail, il ne se doute pas du destin qui sera le sien dans ce territoire crayeux perdu au milieu de nulle part. Là-bas, l’aliénation imprègne peu à peu son âme et son corps et plonge le lecteur dans la sidération en l’initiant aux forces d’un lieu mystérieux et à ses logiques universelles de l'asservissement
La fiction ouest, Thierry Decottignies, éd.Le Tripode.
Matador Yankee de Jean-Baptiste Maudet
©Le Passage
Harper a grandi à la frontière, entre deux mondes. Il n’est pas tout à fait un torero raté, ni complètement cowboy. Il n’a jamais vraiment gagné gros, et il n’est peut-être pas non plus le fils de Robert Redford. Il aurait pu aussi ne pas accepter d’y aller, là-bas, chez les fous, dans les montagnes de la Sierra Madre, combattre des vaches qui ressemblent aux paysans qui les élèvent. Et tout ça, pour une dette de jeu.
Maintenant, il n’a plus le choix. Harper doit retrouver Magdalena, la fille du maire du village, perdue dans les bas-fonds de Tijuana. Et il ira jusqu’au bout. Avec «Matador Yankee» (éd.Le Passage), Jean-Baptiste Maudet entraîne le lecteur sur les traces de son héros John Harper, dans un road trip aux odeurs enivrantes, aux couleurs saturées, où les fantômes de l’histoire et du cinéma se confondent.
Matador Yankee, Jean-Baptiste Maudet, éd.Le Passage.
Le fou de Hind de Bertille Dutheil
©Belfond
Avec «Le fou de Hind» (éd.Belfond), Bertille Dutheil signe un roman polyphonique hanté par une héroïne sans voix, qui s’empare de la question de l’immigration et de l’intégration en France. Mohsin, un immigré algérien, vient de décéder. Il laisse derrière lui une lettre dans laquelle il s’accuse de la mort d’un être innocent, ainsi qu’une série de vieilles photos où il apparaît avec une enfant brune, Hind.
Sa fille, Lydia, interroge alors ceux qui ont autrefois connu son père, à Créteil, à la fin des années 1970. En particulier les habitants du «Château», une villégiature délabrée plantée non loin de la cité des Choux et transformée par Mohsin et ses amis en maison communautaire. Sous ses yeux, le puzzle prend forme, révélant la personnalité de l’absente – flamboyante et mystérieuse Hind –, et la nature de sa relation avec Mohsin.
Le fou de Hind, Bertille Dutheil, éd.Belfond.
Massacre d’Anne Hansen
©Le Rocher
La romancière Anne Hansen publie «Massacre» (éd. Le Rocher), ou le roman d'une décomposition et d'un forfait, celui de la violence qui écrase un salarié sous les regards de ses semblables, témoins impuissants ou indifférents jusqu'au désastre final.
Charles Blanchot, cadre supérieur dans l'Entreprise, est responsable d'un projet de réorganisation. Élément prometteur, il s'élève dans la hiérarchie grâce à ses projets réformateurs. Des progrès qui précèdent une chute tout aussi rapide, dévoilant une violence réelle et quotidienne. L'histoire de Charles est une comédie, celle tragique des gens ordinaires, lorsqu'ils s'essaient au combat.
Massacre, Anne Hansen, éd.Le Rocher.
Le matin est un tigre de Constance Joly
©Flammarion
Depuis quelques mois, la vie d’Alma se hérisse de piquants. Sa fille Billie se plaint de douleurs au thorax. Tous les traitements échouent, et les médecins parlent de tumeur. Mais Alma n’y croit pas. Elle a l’intuition que quelque chose pousse à l’intérieur de la poitrine de son enfant. On a beau lui dire que la vie n’est pas un roman de Boris Vian, Alma n’en démord pas.
À quelques heures d’une opération périlleuse, son intuition persiste. Il ne faut pas intervenir. Autre chose peut sauver sa fille. Elle, peut-être ? Tout en délicatesse, et avec poésie, Constance Joly rappelle les liens très forts qui unissent une mère et son enfant, mais aussi que certains jours, la vie est un combat et qu’il faut bien arriver à s’en débrouiller.
Le matin est un tigre, Constance Joly, éd.Flammarion.