Une œuvre énigmatique. A l’occasion du 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, le Domaine de Chantilly présente à partir du 1er juin prochain une exposition autour de « La Joconde nue », un chef-d’œuvre rarissime et méconnu, qui a bien été réalisée dans l'atelier de Léonard de Vinci «avec la très probable participation du maître» toscan.
«C'est une oeuvre de très grande qualité, réalisée par un très grand dessinateur», déclare à l'AFP Mathieu Deldicque, conservateur du patrimoine au Musée Condé à Chantilly, confirmant une information du Journal du Dimanche. Cette «Joconde nue» est un grand dessin au charbon de bois qui représente une femme à la poitrine dénudée, au sourire esquissé, dans la même pose que la célèbre Joconde du musée du Louvre. D'où son surnom.
Visage androgyne, bras assez masculins mais poitrine de femme et coiffure antique : elle représente une sorte de «beauté idéale» universelle, souligne le conservateur. Il s'agit d'un «carton» préparatoire destiné à reporter la composition sur un tableau, par une technique de piquage. Les scientifiques et historiens d'art ont mené une vaste enquête, accumulant les indices pour tenter de débusquer le ou les auteurs de cette oeuvre troublante.
©C.Ronchin pour Cnews
Ce dessin sur papier a été acquis en 1862 par Henri D'Orléans, duc D'Aumale, dont la collection est conservée au Domaine de Chantilly. L'oeuvre était considérée alors comme un original de Léonard de Vinci, ayant servi à l'exécution d'une «Joconde nue» peinte, conservée au musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg.
Par la suite, cette peinture ayant été reléguée au rang de simple copie d'atelier, ce prestigieux carton, abîmé par le temps et l'humidité, avait subi la même disgrâce. Certains voyaient la variation ironique de la Joconde par un élève ou d’un suiveur (comme Ambrogio de Predis, Francesco Melzi, Salai), tandis que d’autres, l’attribuaient au maître en personne. Mais en 2017, des examens scientifiques ont pu lever une partie du voile sur ce mystère.
«Mains superposables»
En effet, des analyses de laboratoire – réalisés par le Centre de recherche et de restauration des Musées de France (c2RMF) – permettent aujourd’hui d’affirmer que ce chef-d’œuvre a été exécuté dans l’atelier du génie. Et nombre de ses élèves se sont inspirés de cette composition. D’ailleurs, pour la première fois, ces répliques seront rassemblées afin de les comparer entre elles, et au carton de Chantilly.
A la manière d’une enquête policière, les visiteurs pourront prendre connaissance des résultats des analyses, pour enfin connaître la genèse et l’histoire de ce dessin emblématique, entre la France et l’Italie de la Renaissance.
Analyses sous binoculaire, par fluorescence X et à la photoluminescence ultra-violets, réflectographie infrarouge : les scientifiques ont cherché à faire parler le dessin de 74,8 cm de haut et 56 cm de large. Les examens au microscope ont notamment permis de découvrir que le rendu des ombres s’appuie sur des hachures serrées de gaucher, orientées du haut à gauche vers le bas à droite, et on sait que Léonard de Vinci (1452-1519) était gaucher.
Autres indices plaidant pour la réalisation de l'oeuvre par un artiste «de premier plan» : «la qualité du dessin» confirmée à l'imagerie, l'utilisation de la technique du «sfumato» chère à Léonard de Vinci, qui permet d'estomper les contours et de donner un air imprécis. Le dessin a été modifié au moment de sa réalisation, «ce qui prouve que ce n'est pas une copie mais une oeuvre originale de créateur», ajoute le conservateur.
Les mains de Mona Lisa et celles de la «Joconde nue» sont «complètement superposables», ce qui permet de dire que le dessin a été fait «avec la Joconde en tête», soit après 1503, date à laquelle Léonard de Vinci a commencé à peindre le célébrissime tableau, note le conservateur.
Les analyses ont prouvé aussi que ce carton avait été utilisé. «Nous avons retrouvé au moins deux tableaux réalisés par des élèves proches de Léonard de Vinci qui se sont servis de ce dessin préparatoire», déclare le conservateur. Outre la «Joconde nue» de l'Ermitage, une autre version, déposée dans le musée de Vinci, le village natal du peintre, aurait été peinte grâce à ce carton.
La prise de risque dans la représentation du visage de face, l’originalité du piquage, sa qualité d'exécution, mais aussi son utilisation par les élèves proches du maître, sont autant d’éléments qui laissent penser que cette Joconde dénudée soit l’œuvre d’un artiste de premier plan de l’atelier de Léonard de Vinci. Et «Il y a une très une grande possibilité que Léonard ait réalisé la plus grande partie du dessin. Mais on veut rester sérieux et scientifiques. On n'a pas de certitude ultime que Léonard est l'auteur du dessin et on n'en aura jamais», ajoute-t-il.
Grâce à tous ces indices, «nous avons désormais la certitude que ce dessin a été créé dans l'atelier de Léonard de Vinci. Et la participation du maître est très probable», résume le conservateur.
La Joconde nue, du 1er juin au 6 octobre, Salle du Jeu de Paume, Domaine de Chantilly.