Catapulté dès 1998 parmi les espoirs à suivre du manga, Tsutomu Nihei est, depuis, devenu l'un des auteurs japonais les plus influents de sa génération. Alors qu'il publie sa dernière œuvre, Aposimz, chez Glénat, ce quadra discret est l'un des invités du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême du 24 au 27 janvier.
Avant qu'il n'aille à la rencontre de son public, enchaîner les dédicaces et livrer sa master class, l'homme est revenu avec nous sur son œuvre et ses ambitions. Et s'il a lancé sa carrière avec un manga considéré comme l'un des chefs-d'œuvres du cyberpunk, Blame!, ses derniers travaux l'ont propulsé sur le devant de la scène, grâce à l'adaption en série animée de Knights of Sidonia et de Blame!, tous deux sur Netflix.
L'éditeur Glénat publie actuellement une nouvelle édition deluxe de Blame!, dont les pages grand format rendent justice à l'emphase de cette série de dark SF, aussi fascinante qu'énigmatique. Parallèlement, Aposimz fait aussi son apparition dans les rayons des libraires. Tsutomu Nihei y prouve toute l'étendue de son talent, en dépeignant une œuvre à la fois sombre et lumineuse.
Votre travail sur Blame! a marqué toute une génération amatrice de science-fiction et l’animé (proposé sur Netflix) a contribué à son rayonnement. Avec le recul, que retenez-vous des années où vous avez travaillé sur ce manga ? Quelles différences constatez-vous entre vos débuts et le travail que vous livrez aujourd’hui ?
Tsutomu Nihei : C'est en effet ma première série et j'ai tout donné dans cette œuvre. A l'époque, je ne cherchais d'ailleurs pas à être très bien vendu. Surtout, je voulais proposer une chose que personne n'avait jamais faite. Je ne pensais pas à la manière dont les lecteurs allaient percevoir cette histoire. Après la série, lorsque j'ai été interviewé ou au gré de mes rencontres avec les lecteurs, j'ai découvert que les gens n'avaient absolument pas perçu mon message. J'appréhendais le fait que Blame! ne serait pas vraiment accessible pour beaucoup de gens, mais je ne pensais pas que ce serait autant le cas. J'ai donc compris que j'étais encore immature. Cette immaturité était tout à la fois une force, afin de proposer quelque chose de novateur, mais j'ai pris conscience de l'importance de me remettre en question.
BLAME AND SO ON © 2003 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.
Lorsque nous avons réalisé l'adaption cinéma de Blame!, produite par Netflix, j'ai gardé tout cela à l'esprit. Lorsque j'avais réalisé le manga, j'étais seul, mais pour ce film où j'ai travaillé avec une équipe de plusieurs centaines de personne (dont certaines mariées avec des enfants), je me suis interrogé sur le côté commercial de cette œuvre. J'ai donc décidé de modifier beaucoup de choses, afin de rendre mon message plus grand public.
Knights of Sidonia a d'ailleurs contribué à élargir votre lectorat et Aposimz semble s'inscrire dans cette voie...
Tsutomu Nihei : Exactement. Il faut garder à l'esprit de réaliser des mangas compris par les lecteurs. C'est d'ailleurs une chose que les mangakas doivent faire normalement. J'ai d'ailleurs trouvé que je n'avais pas fait assez cela pour Knights of Sidonia et j'ai décidé d'aller plus loin dans cette voie pour Aposimz.
Il y a d’ailleurs un travail sur le blanc et les nuances de gris impressionnant dans Aposimz et pourtant l’univers semble toujours aussi sombre. Pouvez-vous nous expliquez votre démarche graphique ?
Tsutomu Nihei : Avec Aposimz, j'ai vraiment voulu montrer les traits, contrairement à l'époque de Blame! où je cherchais l'idée de planches remplies de noir. Il y a également l'idée de proposer des dessins plus compréhensibles et faciles à retenir pour les lecteurs. Je prends d'ailleurs beaucoup de plaisir à travailler sur les traits. Je voulais aussi du changement, après avoir énormément travailler avec le noir.
NINGYO NO KUNI © 2017 Tsutomu Nihei / Kodansha Ltd.
Comment travaillez-vous aujourd’hui ?
Tsutomu Nihei : J'ai commencé à travailler sur le numérique à partir de la deuxième partie de la série Blame!. Mais depuis Knights of Sidonia, je travaille à 100 % avec l'informatique. Je travaille seul, ce qui est rare au Japon où beaucoup de mangakas travaillent avec des assistants. Finalement, ce travail solitaire m'a permis de passer rapidement au tout numérique. Mais il m'arrive de revenir à des méthodes plus traditionnelles, comme c'était le cas pour Biomega.
Aujourd'hui, je ne peux plus revenir à l'analogiqueTsutomu Nihei
L’outil informatique a-t-il changé votre manière de travailler ?
Tsutomu Nihei : Il y a un vrai confort et je n'y vois que des avantages. Par exemple, quand on travaille avec un crayon et du papier, on doit créer une case. Toutefois, si après coup je souhaite déplacer cette case je dois faire des photocopies des planches pour récupérer les traits de la case initiale et la retracer. Avec l'outil numérique, je peux faire cela en deux secondes. Aujourd'hui, je ne peux plus revenir à l'analogique.
Vous avez toujours été particulièrement doué pour retranscrire des scènes d’action, avez-vous un secret pour ça ou un conseil à donner aux débutants ?
Tsutomu Nihei : Beaucoup d'auteurs dont très doués pour ce type de scènes, comme celles réalisées par Katsuhiro Otomo dans Akira. Le mieux, c'est d'abord d'imiter les auteurs de talent. C'est comme cela que l'on fait des progrès et d'ailleurs beaucoup d'auteurs sont plus doués que moi. Personnellement, je me donne beaucoup de mal, car il est vraiment difficile pour moi de réaliser des scènes d'action. Je fais beaucoup d'essais et je tâtonne. Je multiplie les dessins et parmi eux je sélectionne ce qui me plaît, avant de l'ajouter à mes planches.
L’univers des mechas et des henshin hero (X-OR, Ultraman...) est toujours très présent dans vos œuvres, quelles ont été vos influences ?
Tsutomu Nihei : Cela s'inscrit dans les animes et les mangas japonais en général. Personnellement, j'adorais Kamen Rider, Ultraman et Gundam que je regardais enfant.
On sait votre respect pour Katsuhiro Otomo, auteur d'Akira, mais vous avez aussi confié votre admiration pour le travail de Jean Giraud, alias Moebius. Que vous a-t-il apporté en tant qu’artiste et y a-t-il d'autres auteurs occidentaux que vous appréciez ?
Tsutomu Nihei : J'aime particulièrement Enki Bilal, Moebius et Juan Giménez. Quand je regarde le travail de ces auteurs, je trouve qu'il y a une grande différence avec les mangakas japonais, car eux n'ont pas la date de rendu. C'est pour cela que la qualité de leur dessin n'a rien à voir. Les auteurs de BD travaillent jusqu'à ce qu'ils soient complètement satisfaits. Et je rêve de travailler comme eux. Toutefois, ce sont des auteurs incroyablement talentueux, donc même s'ils avaient une date butoire, ils feraient quand même quelque chose de bien.
Le FIBD d’Angoulême entend cette année, plus encore qu’avant, briser les frontières entre les auteurs de BD, Mangas et Comics. Vous êtes l’un des rares auteurs de mangas à avoir participer à cela, notamment lorsque vous avez collaboré avec Marvel pour Wolverine. Pensez-vous que ces trois secteurs soient encore trop repliés sur eux-mêmes et devraient mêler davantage leurs expériences ?
Tsutomu Nihei : J'avoue que je n'ai jamais fait un état des lieux de ces trois genres. Est-ce une bonne idée de les mélanger et d'en casser les frontières ? L'expérience de Wolverine était très enrichissante, mais finalement cela ne m'a pas donné envie de continuer à travailler pour les comics américains. Et je suis satisfait d'être dans la situation dans laquelle je suis aujourd'hui. Je vis au Japon et il y a un vrai marché du manga dans mon pays, ce qui est finalement plus facile pour moi.
Y a-t-il un auteur en particulier que vous aimeriez rencontrer lors du festival d’Angoulême ?
Tsutomu Nihei : Parmi les auteurs présents à Angoulême, j'adore Taiyo Matsumoto [NDR : invité d'honneur et auteur d'Amer Béton], que j'ai déjà rencontré, et j'aimerai aussi beaucoup rencontrer Minetaro Mochizuki [NDR : déjà récompensé au FIBD poiur Chiisakobé et découvert avec Dragon Head].